Sophie Demichel nous propose un montage des  monologues de Frantz, dans le roman de Jean-Paul Sartre, Les Séquestrés d’Altona. Enfermé volontairement dans son grenier depuis des années, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, par refus radical d’accepter les mensonges qui furent nécessaires au « retour » à la vie normale, à la vie « en paix », il interpelle seul l’Histoire.

Habitants masqués des plafonds, attention ! Habitants masqués des plafonds, attention ! On vous ment. Deux milliards de faux témoins ! Deux milliards de faux témoignages à la seconde ! Ecoutez la plainte des hommes ; Nous étions trahis par nos actes. Par nos paroles, par nos chiennes de vies ! Décapodes, je témoigne qu’ils ne pensaient pas ce qu’ils disaient et qu’ils ne faisaient pas ce qu’ils voulaient. Nous plaidons ; non coupable. […]

Un seul dit vrai : Le Titan fracassé, témoin oculaire, séculier, régulier, séculier, in secula seculorum. Moi.  L’homme est mort et je suis son témoin. Siècle, je vous dirai le goût de mon siècle et vous acquitterez les accusés. Les faits, je m’en fous : je  les laisse aux faux témoins ; je leur laisse les causes occasionnelles et les raisons fondamentales. […]

Imagine une vitre noire. Plus fine que l’éther. Ultrasensible. Un souffle s’y inscrit. Le moindre souffle. Toute l’Histoire y est gravée depuis le commencement des temps jusqu’à ce claquement de doigt… La vitre ? Partout. Ici. C’est l’envers du jour. Ils inventent des appareils pour la faire vibrer ; tout va ressusciter…. Du cinéma. Les crabes regardent Rome qui brûle et Néron qui danse. Ils te verront, petit père. Car tu as dansé. .. Que faisais-tu le 6 décembre 44 à 20h30 ? Tu ne le sais plus ? Ils le savent : Ils ont déplié ta vie. Léni je découvre l’horrible vérité : nous vivons en résidence surveillée. […]

Peut-être n’y aura-t-il plus de siècles après le nôtre. Peut-être Peut-être qu’une bombe aura soufflé les lumières. Tout sera mort : les yeux, les juges, le temps. Nuit. O tribunal de la nuit, toi qui fus, qui seras, qui es, j’ai été ! Moi, Franz von Gerlach, ici, dans cette chambre, j’ai pris  le siècle sur  mes épaules et j’ai dit : j’en répondrai. En ce jour et pour toujours. 


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