par Patrick Emourgeon

                                          « Comme dit Rilke, dans la vie il n’y a pas de classes pour débutant, on vous demande toujours le plus difficile tout de suite »

Photo du NouvelObs

par Patrick Emourgeon


Il y a des villes frontières condamnées à attendre, des villes rudes bâties sur un ciel froid, de lointaines tours de guet rivées sur des bords géologiques. C’est là que je suis né. Dans la rue du palais de justice. Un ironique oxymore qui sonne dès le début comme une blague, une insolite prémonition.
C’est aussi dans cette cité hypothétique que l’écrivain James Salter a accouché de ce livre éblouissant, trainant ses bottes d’aviateur américain dans les rues et les bars de ce chez moi, balisant méthodiquement  ce terrain abstrait qui sera mien quelques années plus tard.


Salter y écrit ma ville. Une prose étincelante, simple et poétique. Un road movie singulier qui lui fait traverser la Bourgogne dans une bagnole extravagante au plus près de la belle Anne-Marie. Une histoire d’amour sexuée, des corps humains qui se découvrent divinement, de chambres en bars, de restaurants en hôtels, une chronique de la bouche où l’on mange et où l’on s’aime avec la même passion, la même distance intime. Une description rare de la province oubliée, de ces lieux
vides et dénués où il ne reste que l’essentiel, la peau des hommes et des femmes à l’assaut de l’attente, de l’espérance. Un désir incandescent et éphémère, un sport et un passe-temps…


 Je comprends mieux ce qui m’entrainait alors dans ce café de Foy inchangé depuis 1900 à siroter comme lui cette bière brune et acide à l’heure des premiers yeux, des sourires immenses. En équilibre sur l’échelle des mots, à la découverte des corps, je pistais sans le savoir les traces brulantes oubliées ici par James Salter.
Un regard analogue m’a étrangement conduit vers ce roman, éternel petit lutin semant ses éclats de verre sur le chemin. Un royaume de coïncidences troublantes dans l’entrelacs des mots et des situations de ce roman magnifique.


L’élégant James Salter sait qu’ici on ne s’attarde pas. Depuis la nuit des temps, cette citadelle des confins envoie inlassablement, à
travers le monde, ses preux poètes éclaireurs, agents doubles chargés de déchiffrer le monde et de l’embellir pour revenir un jour à leur tour s’asseoir, mille ans durant, dans l‘exacte solitude, tout en haut du donjon de Chaumont, à l’Est de rien.



PS : James Salter est mort, il y a quelques années. Ironie du sort, le café de Foy, ce bar ancien chargé d’histoire où il aimait retrouver
Anne-Marie a été ravagé du sol au plafond au même moment par des barbares consuméristes afin d’y installer une parfumerie…

« …j’ai tout ça serti autour de la conscience comme un cercle de fer.
Ces seins souverains, libres de vêtements. Elle adore être nue. Elle nage dans la lumière. Elle en ruisselle.
Les grands amoureux reposent en enfer, dit le poète. Même maintenant, longtemps après, je ne puis oblitérer les images. Elles restent en moi comme le besoin d’un drogué. Il me suffit d’entendre certains mots, voir certains gestes, et me revoilà à gamberger. Je me méprise de penser à elle.
»

James Salter, Un sport et un passe temps , Editions de
l’Olivier

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