INTERVIEW – Anne-Laure Buffet, thérapeute, conférencière, formatrice, est l’auteur de Victimes de violences psychologiques, aux éditions Le Passeur. Son dernier ouvrage, Ces séparations qui nous font grandir, est disponible aux éditions Eyrolles.

MUSANOSTRA : Vous oeuvrez depuis des années à faire prendre conscience des violences subies dans les familles. En quoi cette crise sanitaire vous semble-t-elle révélatrice d’un mal être profond ?

ANNE-LAURE BUFFET : Je ne crois pas que cette crise soit révélatrice ; en revanche elle exacerbe la violence, et a obligé à prendre des mesures urgentes pour protéger les victimes. Les tensions voire violences pré existantes n’ont été qu’en s’aggravant. Mais la crise sanitaire et le confinement ont fait naître d’autres tensions, souvent minimisées ou ignorées. La cohabitation, le temps différent, le temps souvent pour soi, a permis également des prises de conscience et confronté de nombreuses personnes à des situations ressenties comme urgentes, et parfois réellement urgentes, leur faisant souhaiter et entreprendre un travail thérapeutique. Cela dit, elle a pu permettre des prises de conscience et des compréhensions individuelles, en cassant une routine plus ou moins confortable mais à laquelle beaucoup se soumettent, par habitude, par crainte du changement ou par absence de temps pour penser et s’autoriser à imaginer un autre possible. Reste maintenant à en tirer une leçon et un apprentissage et chercher, au-delà des situations de violences, à transformer, positivement, ce qui aura été observé et acquis pendant ces deux mois de confinement. 

M: Les femmes sont souvent les perdantes. Pensez-vous que cela puisse changer un jour ? 

A-L. B: J’aimerais dire OUI ! Et je tiens à le souhaiter et même à y croire. Ce que j’espère essentiellement est que nous ne parlions plus « perdantes » / « gagnants » mais humanité. Les plus grands perdants, les victimes majeures sont les enfants. C’est en éduquant, en se formant à les éduquer, à les écouter, à les prévenir et les entourer, que nous pouvons espérer un réel changement. Les enfants d’aujourd’hui sont les adultes de demain – et ce n’est pas qu’une vérité toute faite ou un lieu commun, c’est une réalité dont nous devons tous avoir conscience si nous voulons voir évoluer notre société, humainement, socialement, familialement. 

M : Comment les praticiens gèrent-ils l’arrêt des consultations ? Quels effets cet arrêt causera-t-il dans la société ?


<<A-L. B : La majorité des praticiens et thérapeutes ont proposé des téléconsultations. Des numéros verts et des numéros d’urgence ont également été proposés. Ainsi, chaque personne demandant une écoute pouvait en bénéficier, même si pendant un temps ce n’était pas avec le praticien désiré ou « habituel ». Nous avons dû nous adapter, tant thérapeutes que patients, à la situation actuelle. Il n’était absolument pas question que toutes ces personnes, déjà en thérapie ou désirant un suivi, se retrouvent « abandonnées », sans écoute et sans soutien, particulièrement lorsque l’isolement, l’incertitude, la peur de la maladie, sont si invasives. Et, nécessairement, une réflexion sociale va devoir en découler et il va falloir réfléchir à de nouvelles propositions, une nouvelle écoute ou une écoute différente. Les mois qui arrivent vont être difficiles et riches également en enseignements – il faut construire avec et non imaginer que c’est juste une période difficile, qui va passer…
Les demandes sont en effet nombreuses et même de plus en plus nombreuses. Elles évoluent, également. Les urgences sont plus personnelles, avec un recentrage sur soi essentiel mais dont nous sommes souvent tenus éloignés. 

M: Vous avez créé durant le confinement une page sur laquelle vous proposez vos lectures. Est-ce que le lien que vous avez avec les gens sur les réseaux est important pour vous ou s’agit-il d’une simple distraction ?

A-L. B: C’est un lien très important, quelle que soit la période, s’il est bien utilisé, c’est-à-dire en restant vigilant, attentif à qui nous sommes, à ne pas y mettre plus d’affectif que nécessaire. Il permet de maintenir, parfois même d’approfondir un lien, d’en créer de nouveaux également, tout comme de rencontrer des centres d’intérêts jusque-là inconnus. 
En effet depuis le début du confinement, j’ai choisi de lire un texte ou un extrait de texte chaque jour. Poésies, fictions, essais… j’ai tenté de traverser plusieurs genres et de proposer divers styles et écritures, contemporains ou non. L’idée était de continuer le lien, de continuer à faire un signe, de passer des messages, de rompre l’isolement ou la solitude quelques minutes par jour. Ce qui est apparu indispensable, puisque l’on voit de très nombreux artistes le faire et permettre ces « fenêtres » de détente. 
Je voulais aussi dire qu’il ne faut pas oublier les écrivains et auteurs, les poètes, mais aussi tous les intermittents du spectacle, qui souffrent directement de cette crise sanitaire. C’était donc aussi un moyen d’encourager à lire, parfois des auteurs peu ou mal connus, un moyen de développer la curiosité ou de l’encourager. C’était enfin un moyen pour moi d’être dans un contact, certes virtuel mais qui est également très réel, avec des proches et moins proches. 

M : Qu’est-ce que vous lisez en ce moment ?

A-L. B : La lecture a une place très importante, depuis toujours, dans ma vie. Elle est une compagnie, parfois une confidente, une source de réflexion, un lieu de découvertes et de voyages. L’écriture est toujours aller de pair. Petites phrases, pensées, textes plus organisés. Un moyen de partager je crois, mais surtout d’organiser ma pensée, de la construire, de lui donner un sens et si possible d’apporter un soutien, un réconfort ou simplement un moment de distraction aux autres. 
Apporter également une lumière sur des problématiques personnelles, et permettre de les transformer, comme j’ai cherché à le faire entre autres dans deux ouvrages, Les mères qui blessent et Ces séparations qui nous font grandir, parus chez Eyrolles en 2018 et 2020. J’aime lire des essais, mais également des fictions, des romans, et parfois un bon roman policier, avec un faible pour Agatha Christie.

M: Pouvez-vous nous dire quelques mots de la Corse ?


A-L. B : Ah, la Corse… Ma famille maternelle est corse, et j’y suis affectivement très attachée. C’est assez indicible. Mais, par exemple, l’arrivée en bateau lorsque le jour se lève et l’odeur du maquis, ou encore un prénom, qui va me rappeler des souvenirs, un besoin d’y retourner pour me reposer, me ressourcer loin de l’agitation parisienne, du bruit et de la pollution


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