Dans Kérozène, Adeline Dieudonné conte les petits déboires et les grandes frustrations d’éclopés de la vie, dans une série de récits courts et mâtinés d’humour. Un second roman aussi profond que grinçant.
Par : Antoine Giudicelli
Voilà un livre qui fait du bien ! Des tranches de vies ordinaires et qui sont ou deviennent extraordinaires. Des moments de crise où tout évolue et met en danger celui qui les vit.
Les titres sont des prénoms, surtout de femmes. Avec un Loïc, un Olivier ou encore un Joseph. Et chaque fois, c’est ce personnage qui est le protagoniste. Sa vie ressemble pourtant par bien des aspects à la nôtre. Mais il y a toujours avec Adeline Dieudonné un détail vite amené qui fait qu’on désacralise ; et qu’on remet à distance, qu’on est déstabilisé et amusé, bien que désespéré.
Prenons le cas d’un couple, on se dit quelle chance, ils ont l’air heureux. Trois lignes plus loin, on comprend que le ver est dans le fruit, et la focalisation choisie permet de suivre les acteurs et leur perturbation. Car ils ne sont pas présentés par hasard, jusqu’à une station-service isolée sur une autoroute. Un asile pour ceux qui bougent dans les Ardennes, ce soir-là après 23 heures. Et dont les trajectoires, la plupart de fuite, vont faire qu’ils se croiseront, là, dans cet espace de circulation bruyant et éclairé ; sans même qu’ils se connaissent ou se reconnaissent. Alors que le lecteur lui, les retrouve, connait le souci de tous.
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Avatars et caricatures ambulantes
Des nigthhawks, comme dans le célèbre tableau de Hopper, qui blafards, apeurés ou soulagés ; avec pour la plupart, un cadavre dans le placard ou dans le coffre de la voiture, cherchant aventures ou l’aventure. Ils sont en mouvement, évoluent, ou fuient, par peur, par goût de libération, par obligation et en réalité pour bien d’autres motifs. Au fond, on a compris ce qui les a animés. Leur ras le bol ou leur infortune.
Car on est dans leur esprit, par la volonté de la conteuse moderne qu’est Adeline Dieudonné ; créatrice d’avatars et de caricatures ambulantes de la modernité. On les saisit par leurs pensées et par leurs actes. Et on ne peut que se dire qu’il y a certes outrance, mais qu’elle est dynamisante, vivante, amusante et instructive. Le sexe, très présent au fil des pages, est un puissant moteur et certaines scènes sont cocasses.
Les rapports de domination, les déséquilibres entre les êtres, l’utilisation des autres, au nom des grands principes. De même que la violence qui surgit, comme ça, de façon absurde. Le rôle de la sexualité, hygiénique, dégradante et réparatrice rarement, ou encore, le vieillissement et l’hygiénisme.
L’auteur révèle dans un style qui la caractérise, phrases courtes, vocabulaire courant, avec des formules frappantes ; les drames de vies banales, les traumatismes de l’enfance qui ne s’effacent pas, la cruauté des hommes et le danger permanent dans lequel vivent les plus faibles. D’autre part, un dauphin prédateur sexuel, un couple de beaux parents curieux d’une anatomie intime. Ou encore, le cheval Red Apple à la réaction salvatrice mais aussi désastreuse ; comme celle de la plupart des acteurs de ces courts récits.
Le point d’orgue, c’est quand ils débarquent tous, éclopés de la vie, sous la lumière crue de cette aire de repos ; encombrant le parking de leur voiture, fauteuil roulant ou camion… et que nous nous étonnons et amusons de les voir quelquefois interagir.
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