Dans La Familia grande, Camille Kouchner accuse de viols répétés sur son frère, alors adolescent, leur beau-père Olivier Duhamel. Un récit glaçant qui interroge sur le fléau trop souvent tu de l’inceste.
Par : Audrey Acquaviva
La Familia grande de Camille Kouchner, paru aux éditions du Seuil est le récit de plusieurs déchirements douloureux et successifs vécus au sein de sa famille. Le premier de ces déchirements est la perte de sa mère par son éloignement tant physique qu’émotionnel, car celle-ci a dû vivre un deuil impossible à faire. Le suicide de sa propre mère qui l’éloigne de la personne solaire et aimante, libre et engagée qu’elle était. Bienveillante, la mère de l’autrice se mue en une personne agressive et distante. Alors impuissante et silencieuse, cette dernière, à peine sortie de l’enfance, ne la reconnaît plus.
Le deuxième déchirement concerne l’inceste que subit son frère jumeau, victime de son beau-père. Dans la confidence et ayant promis le silence, la jeune fille verra s’engager en elle une lutte intestine. L’effroi causé par la réalité de ces actes se mêlera à l’amour vis-à-vis de cet homme aimant, qui participe pleinement à son éducation. Ainsi l’autrice aborde-t-elle le conflit que vivent les victimes d’inceste, car elle est aussi une victime et mettra des années à le réaliser. Peu à peu, la figure du beau-père se fissure. Peu à peu, l’amour filial qu’elle lui porte se délite.
Le chef de clan
Le troisième déchirement est causé par la trahison de la mère à l’encontre de ses trois premiers enfants. En effet, au moment où le secret est révélé, elle refusera la vérité. Elle ira jusqu’à accuser son fils, la victime, de lui avoir volé son mari et finira par soutenir ce dernier. Le quatrième déchirement aura lieu avec la familia grande qui mêle famille et amis. Face à la révélation du secret, ils seront nombreux à choisir le silence interprété par les enfants comme de la lâcheté ou de la soumission face à la toute-puissance du chef de clan ; personnage reconnu et qui fait référence dans les sphères sociales et politiques françaises.
La fratrie s’éloignera de ce microcosme qui s’arrange d’une telle omerta. L’honnêteté est-elle un luxe, est-elle possible auprès d’un personnage aussi puissant que charismatique ? Est-on prêt à en payer le prix ? Par les restitutions de ces événements, le livre interroge l’attitude des adultes face aux enfants. D’une part sur la capacité des premiers à accompagner les seconds dans le monde, et d’autre part sur celle de les protéger ou de les trahir. Et quand l’adulte trahit, comment l’enfant peut-il continuer d’avancer ?
Malgré l’âpreté de cet émouvant témoignage, certains passages émeuvent par la grâce qui s’en dégage ; comme ceux qui évoquent la mère et la belle complicité qui la liait à l’autrice. Il s’agit d’une véritable déclaration d’amour. Et comme toutes les amours maternelles, cet amour est fondateur. Cependant, bien qu’immense, il vacille et devient, beaucoup trop tôt, un paradis perdu. L’autrice aime toujours sa mère : la lettre qui clôt le récit nous le prouve. Mais son amour a évolué. Désormais, il est départi d’illusions, éclairé par l’expérience de la trahison et de la douleur.
D’autres portraits ponctuent le récit. Celui du père qui viendra tardivement, mêlant admiration et exaspération. Celui de la fratrie aussi. De la tante aimante et combative. De la grand-mère. Le bonheur et la belle vie semblaient assurés, malgré le divorce de ses parents. Tout paraissait prometteur : un milieu privilégié, la famille agrandie l’été à Sanary, lieu de l’enfance et de la liberté.
Dans le secret et le silence
La Familia grande est un récit autobiographique. On retrouve de nombreux marqueurs comme le “je”, le “nous”. Un cadre spatio-temporel précis dans lequel l’autrice livre son histoire et présente sa famille toutes générations confondues. Elle y évoque l’importance de la maternité, de l’amitié, des amours dont certains sont salvateurs.
Le récit traverse plusieurs périodes de vie. D’abord celle de l’enfance, où sont posés les principes éducatifs comme notamment celui de ne rien expliquer ; le silence et l’excellence exigée. Puis celle de l’adolescence marquée par deux drames personnels : l’éloignement de la mère et l’inceste que les jumeaux doivent vivre dans le secret et le silence. Elle tentera de dépasser ces traumatismes durant l’adolescence et une partie de leur âge d’adulte. L’utilisation du présent de narration donne l’impression d’être au cœur des faits et de l’introspection. Et par un recours à l’oralité ça et là, les scènes sont encore plus présentes. Et même si le commentaire est rare, l’autrice tente de coller au plus près des faits, afin d’y restituer également ceux qui la hantent et qu’elle a parfois du mal à saisir avec précision.
La Familia grande évoque la mécanique du silence vécu comme un piège, une promesse ou un reproche. Ce silence que les jumeaux s’imposent aura des conséquences. L’un fuira cette horrible réalité, refusant d’y penser et se construira en dehors d’elle. Tandis que l’autre enfermera le monstre en elle.
Tel une hydre qui danse
Dès lors, elle est partagée entre l’obligation de faire comme si de rien n’était et la culpabilité. Monstre qui vit en elle et la téléguide. Qui la ronge, lui prend son air et qui sera difficile à dompter. Ceci avec les effets sur la physiologie que la psyché peut imposer. C’est à cause de lui que son corps souffrira, maigrira, aura du mal à respirer et tentera de s’effacer. À cause de lui, qu’un temps, elle aura du mal à se concentrer, qu’elle aura du mal à vivre et à aller vers l’autre. C’est une “hydre qui danse” en elle jusqu’à “enlacer son cou”.
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Mais ce monstre finira par s’affaiblir grâce à un tuteur de résilience qui l’aidera à respirer de nouveau. Néanmoins, suite à ce drame, se pose la question de la construction et de la résilience de ce silence solidaire, de ces trahisons successives. Il continuera à s’affaiblir avec la fin du silence. Tout d’abord au sein de la famille où l’on suivra tour à tour la réaction de chacun ; comme le déni de la mère, ou la solidarité du frère aîné qui prendra fait et cause pour les jumeaux, ou encore, la combativité de la tante ; autant que la colère explosive du père qui se mue en silence pour respecter le choix de son fils.
La familia grande, promesse de protection et d’amour s’est révélée bien fragile en se soumettant au despote aux allures paternaliste qu’était l’époux, l‘ami, le professeur, l’érudit. La fin du silence est imposée par la promesse à son frère face à l’urgence de certains événements. Plus tard, à la mort de la mère, l’affaire sera portée en justice pour crime. Camille est soulagée d’entendre la qualification de la souffrance subie par son frère dans la bouche d’un des avocats. Grâce à la justice et à la littérature, elle a terrassé le monstre et peut enfin vivre.
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Nous avons tous beaucoup entendu parler de ce livre.
J’étais partagée entre une certaine méfiance, à cause de la « publicité médiatique », à mes yeux, pesante, et l’envie de lire cette autobiographie dont le sujet est à la fois grave, intime et prégnant. La chronique d’Audrey Acquaviva, de Musanostra, sur le livre « la familia grande » de Camille Kouchner, expose avec clarté l’infernale position de l’autrice, l’ ambiguïté des sentiments d’amour, de trahison, de pouvoir, du silence, dans ce cercle familial.
Cette chronique est une réussite puisqu’……elle a aiguisé ma curiosité, je vais lire « la familia grande » .