Publiée aux éditions Alain Piazzola, La Geste du peuple d’Antoine-Marie Graziani recueille une série de documents d’archives génoises sur la société corse des XVIe et XVIIe siècles.

Par Francis Beretti

Le titre de l’ouvrage récent d’Antoine-Marie Graziani La geste du peuple surprend un peu, car le mot « geste  » est généralement appliqué à l’histoire souvent embellie des grands de ce monde.  On trouvera l’explication de ce choix un peu plus bas. En revanche, le sous-titre est plus immédiatement compréhensible : « La société civile corse dans la documentation criminelle génoise XVIe-XVIIe siècles ».

Une documentation issue des Archives de Gênes

La documentation est inédite. Elle provient du fonds criminel de l’Archivio di Stato di Genova. Il ne manque aucun détail macabre dans ces comptes rendus d’enquêtes. En fait, il s’agit d’enquêtes tronquées. Le principal coupable s’est déjà dénoncé, en prenant le maquis. Pour cette raison, les témoins sont même beaucoup plus souvent torturés ! 

Une société violente

Les amateurs de romans gothiques pourraient trouver leur compte dans ces descriptions méticuleuses de cadavres qu’on exhume, victimes de modes opératoires assez variés. Coups d’arquebuse, d’armes tranchantes, de strangulation, de poison, sans compter les détails sur les viols. On peut même penser à des scénarios de western, puisque des chasseurs de primes sont présents. 

Au passage, on a des détails précis d’ordre vestimentaire. Ils changent des gravures stéréotypées, tel ce bandit près de Castirla, grand, ses cheveux blonds ou blancs recouverts d’un bonnet bleu, portant une veste de tissu corse neuve, sous son pilone,  des caleçons de tissu blanchâtre usagés, des chaussures de vachette noire usagées. Tel le cadavre d’une jeune femme rousse. On l’a enterrée dans un corsage serré de laine corse avec des manches bleues, des chaussettes de fil blanc et des chaussures noires.  En revanche, spectacle plus rare, dans le quartier du Guadellu, à Bastia, le cadavre d’un notable porte une veste et des pantalons de soie noire, des chausses de laine couleur « musc » (brun clair), des chaussures blanches et une chemise de lin.

La geste du peuple : un retour sur l’organisation sociale en Corse

Ces registres nous confirment la répartition de la société en trois strates. La famille proche, le parti, et souvent la communauté, c’est-à-dire que le paesanu voit d’un mauvais œil le frusteru. Dans ces conditions, l’Etat génois « pratiquement sans marine et sans armée »  révèle sa faiblesse. Il est contraint d’utiliser les notables insulaires comme auxiliaires, alors que ces derniers  sont partie prenante dans cette procédure qui ne peut donc  être impartiale.

Par cet ouvrage Antoine-Marie Graziani propose une nouvelle approche de l’histoire. Elle ne s’intéresse plus seulement aux archaïsmes et aux particularismes d’une société. Elle rend également compte d’ « une interaction continue entre l’élite et le peuple ». Le livre nous sert une tranche de vie crue. Celle-ci a disparu sous le poids du récit officiel. Elle s’efforce de restituer pour le lecteur « le monde vécu des classes populaires », d’où le titre de « geste du peuple ».

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Antoine-Marie Gaziani, La Geste du peuple, Ajaccio, Alain Piazzola, 2024.


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