par Pierre Lieutaud

Derrière les fenêtres de ma prison sans barreaux, le printemps me fait la nique. Les fleurs s’ouvrent, les oiseaux chantent, les nuages passent au fond du ciel en cortèges tranquilles. Et le soleil rigole…

. Ah ! Vous avez voulu maitriser la nature, obliger les cours d’eau, ordonner aux plantes de germer selon votre bon vouloir, plastifier le globe terrestre comme un paquet cadeau empoisonné ! Eh ! bien, voila, c’est la revanche des mauvaises herbes, du grouillement de la vie telle qu’elle est.

Que sommes-nous, hier rois du monde, aujourd’hui peuple de parqués, terrorisés par un corpuscule de l’autre hémisphère, transporté par les norias d’avions chargés d’hommes d’affaires à la recherche de profits toujours plus grands, de touristes convaincus qu’il n’y a de vie convenable qu’à cheval sur les fuseaux horaires ? Sans le Machu Pichu, pas droit à la parole, sans l’Ile de Pâques, point d’issue. Ordre est donné par les villes paquebots, les avions gros porteurs, les télévisions, les médias et la publicité dominatrice  de goûter le monde entier avant de le quitter, Vous le valez bien, proclament-ils pour se remplir les poches. Et nous, pauvres moutons de Panurge, nous passons sans les voir à coté des coquelicots du bord des routes, des touffes de violettes, ces cyclamens, des genets, des sources, des ruisseaux. Vite, vite, voyager, prix cassés, toujours plus vite, consommer, jeter, boire et manger. 

Un hérisson qui habite mon jardin me l’a dit ce matin. La nature est en colère. 

– Regarde, le soleil s’impatiente de tant d’inconscience, il envisage de lancer des flammèches de plus en plus grandes. La lune n’en revient pas de ce qu’elle voit. D’ailleurs, si tu la regardes bien, tu remarqueras son air interloqué. Elle ne dit rien pour le moment, mais elle règne sur les marées et le cycle des femmes et si elle s’énerve…Le gulf stream continue à caresser les côtes et à tempérer les terres, mais jusqu’à quand ?

– Il a raison, répètent en cœur les tortues, les belettes, les renards, les sangliers, les chèvres et les moutons.

– Et nous alors, disent les oiseaux migrateurs, nous perdons le nord et de toute façon, il n’y a plus rien à manger sur nos terres de migrations. 

– Et nos couleurs, voyez comme elles s’estompent, disent les rouges gorges, les chardonnerets, les bergeronnettes, les oiseaux lyres et les cacatoès, les perruches et les guêpiers, 

Et ce n’est pas tout, a ajouté le hérisson, un truc extraordinaire s’est produit, une chose inexplicable : les plantes se sont mises elles aussi à parler.  

– Regardez-nous, crient les tomates, malades sitôt écloses, sans couleur ni odeur, nos feuilles sèchent comme de vieux papiers. 

– Et nous alors, les cerises, si pourries que même les oiseaux nous ignorent. 

– Et nous, les pêches, traitées et retraitées et toujours malades. 

– Et qu’est-ce que je devrais dire, pleure le géranium, dès que je fleuris, je périclite.

– Et nous les abeilles, malades comme des chiens, incapable de transporter le pollen pour notre reine, la plupart de nous allongées dans les alvéoles, malades à crever.

– Et nous, les papillons, l’extinction nous guette comme les coccinelles, les lucioles, les libellules, les hannetons et les vers de terre…

Alors ce corpuscule vous l’avez bien mérité, a ajouté le hérisson. Bien sûr vous vous en tirerez, et bien sûr aussi, animaux humains sans cervelle, vous oublierez…La nature non. En ce moment, elle tient un grand conciliabule et une décision a été prise à l’unanimité.  Soleil, lune, océans, volcans, rivières, lacs et montagnes sont tous d’accord. Au prochain faux pas des hommes, ils videront la terre de l’espèce humaine. 

Crédit Photo : Camille Canazzi, Février 2020


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