Bénédicte Giusti-Savelli présente Le Dimanche des Mères de Graham Swift, publié dans la collection « du monde entier » des éditions Gallimard. 

«  C’était le 30 mars. Un dimanche. Un jour que l’on appelait le dimanche des mères. » Nous sommes en Angleterre, en 1924 et cette journée est octroyée aux domestiques pour qu’ils aillent rendre visite à leur mère. Mais Jane, jeune domestique de 22 ans, narratrice de ce récit, est orpheline ; c’est Paul, son amant depuis sept ans, jeune homme de bonne famille qu’elle ira voir une dernière fois : ultime rencontre, puisqu’il doit épouser quinze jours plus tard une jeune fille de son rang et a décidé de mettre fin à leur relation. Le roman se concentre sur cette dernière entrevue entre Jane et Paul, sur cette journée exceptionnellement belle, trop belle au regard du terrible drame qui se produira et changera à jamais  le cours de l’existence de Jane.

On peut voir dans Le Dimanche des mères un roman social qui aborde de façon très subtile un rapport maitre/domestique en train de changer après le traumatisme de la première guerre mondiale, douloureusement présente encore dans chaque famille. La relation tarifée des premiers temps est devenue une histoire d’amour : une relation basée, certes, sur les non-dits, les silences, une relation tue – un fils de bonne famille ne peut aimer une domestique, une domestique peut difficilement concevoir être aimée d’un fils de bonne famille – mais une histoire d’amour malgré tout. Jane le sait, le sent et en aura l’assurance au cours de cette dernière étreinte ; cette journée sera littéralement celle du « dévoilement », chacun se révèlera à l’autre et à lui-même, dans une sensualité qui dira ce qui ne peut – ne doit –  être verbalisé.

Le Dimanche des mères est aussi un roman sur les mots, la lecture, la littérature, sur ce qu’est un écrivain et comment on devient artiste. Jane, en effet, n’est pas une domestique comme les autres : elle aime lire, emprunte les livres de son maitre, porte une attention particulière au langage, veille à trouver l’expression la plus juste lorsqu’elle s’exprime ou pense, regrette quand elle sent que les mots lui manquent. Cette acuité de Jane et sa présence au monde si singulière l’entraineront presque naturellement sur les voies de la littérature. Celle qui n’a pas de parents, qui ne sait rien de ses origines, qui ne sait pas qui elle est et pourrait ne rester qu’une servante parmi tant d’autres, va pourtant trouver sa place dans une société encore très hiérarchisée et sclérosée. « Peut-on ″traverser le miroir″ ? », s’interrogera Jane, devenir quelqu’un d’autre ? «  Tu iras au bal », exergue du roman, nous donne la réponse : elle saura « franchir une barrière insurmontable » pour réaliser son « plus grand accomplissement » et devenir celle qu’elle pressent être.

« Once upon a time », (trop) simplement traduit par « autrefois », ouvre ce récit : Le Dimanche des mères est effectivement un conte qui relate une de ces journées, comme hors du temps, dont on sait qu’elles n’existeront plus mais qui vous transforment et vous hantent, qui peuvent décider de toute une vie et qui feront de Jane une femme libre. 

Les incursions régulières dans le passé et le futur de Jane, la répétition de certaines scènes construisent progressivement ce portrait de femme dans une fluidité quasi musicale. Graham Swift nous peint une journée aussi radieuse que terrible et offre un livre lumineux.

Informations utiles

Graham Swift, Le Dimanche des mères, Paris, Gallimard, coll. « du monde entier », 2017, 14,50 euros.


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