Par Nathalie Nadaud-Albertini
Un bruit sourd au sol, le léger frémissement d’un buisson par une nuit sans lune lors d’un parachutage d’armes en 1943 dans les montagnes corses et le destin prend un autre tour. Un homme, Ange-Mathieu, a cru voir son ami, Étienne, jeter une sacoche dans le maquis. Incrédule, incertain de ce qu’il va vu, il préfère garder le silence, mais le doute a des doigts de velours. Il ne se fait pas serre, il frôle les consciences, effleure les destins, leur donne une pichenette et les change à jamais.
Tout d’abord parce que l’amitié entre les deux hommes ne sera plus la même. Elle se fera défiance d’un côté, incompréhension de l’autre. Plus tard, ce seront leurs enfants, Stella et Dominique, qui en feront les frais. Sans le doute, ils seraient déjà mariés. Cependant le doute est là, il ouvre le destin de Dominique sur les tentations d’ailleurs que représente Chantal, une jeune femme rencontrée en Algérie partie vivre au Canada. Et voilà Dominique qui envisage une autre vie, celle d’un autre, celui qu’il aurait pu être si… autant que celui qu’il pourrait être si… Autrement dit, le doute encage et libère les destinées dans le même mouvement.
Le temps du doute de Gilles Santucci, c’est également l’histoire de la guerre, pas une guerre en particulier, la guerre en général, avec son cortège de malheurs et de misères humaines, d’exactions et de cruautés. La guerre comme une face monstrueuse et déformante de l’être humain qui explore sa version sombre. L’action se déroule dans les tranchées de Verdun et dans le djebel algérien, mais peu importe en réalité. Quels que soient l’année, l’endroit et les clans en présence, l’histoire est la même. Celle des êtres qui souffrent et se perdent dans l’horreur. Qui tant bien que mal survivent à la destruction justement parce qu’ils sont humains. Alors, sur la toile sombre et sanglante de l’Histoire éclatent des tâches de lumière, jetées là par un peintre qui veut éblouir le lecteur de la beauté de ce qui fait aussi l’être humain. La force de l’amitié, l’amour, la famille, les petits bonheurs quotidiens, le charme d’une rencontre, le bonheur d’un lieu à l’atmosphère chaleureuse et envoutante. La vie plus forte que tout.
Le temps du doute, c’est donc avant tout un récit qui travaille sur le clair-obscur de l’être humain, où tel un équilibriste, chaque personnage marche sur son fil, oscillant entre ombre et clarté.
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