MUSIQUE – Frédéric Lecomte, spécialiste de la culture américaine, revient sur la carrière musicale de Little Richard.
Parmi tous les grands rockers des années cinquante, Little Richard fait figure d’OSNI, Objet Sonore Non Identifié. Showman excessif et exubérant, Little Richard est de tous ses contemporains le plus frappadingue.
Après avoir chanté du gospel à l’église en s’accompagnant au piano, puis s’être initié au blues, fortement influencé par Louis Jordan et Billy Wright, Little Richard effectue ses premiers enregistrements pour RCA au sein du groupe de Roy May, puis pour Peacock, tant en solo, qu’au sein des Tempo Toppers.
En février 1955, Little Richard, accompagné par la première mouture de son groupe, The Upsetters, envoie une bande de démonstration de sa Georgie natale au label Speciality basé à Los Angeles.
Le président, Art Rupe est très impressionné et décide de signer l’artiste, mais il découvre très vite que Little Richard est déjà sous contrat avec le label Peacock.
Pour mettre fin à cette situation, Little Richard rachète son contrat à Peacock pour six cents dollars, somme qu’Art Rupe lui avance afin de pouvoir conclure la signature avec Speciality.
Pour Little Richard, Speciality marque une nouvelle étape, importante et fondamentale pour sa nouvelle formule musicale.
Surnommé « Georgia Peach», soit « La pêche de Georgie » à cause d’une homosexualité débridée dont il ne s’est jamais caché, ce pianiste fou de Little Richard est le tout premier rocker à faire son coming out.
C’est suite à sa signature avec Speciality et sous la houlette du directeur artistique Bumps Blackwell, que Little Richard se met à fredonner un titre familier de son répertoire scénique : « Tutti Frutti, Good Booty » dont les paroles s’avèrent particulièrement salaces et osées pour l’époque : « Tutti frutti good booty / If it don’t fit, don’t force it / You can grease it / Make it easy. », soit en Français : « Tous les fruits, bon popotin / Si ça ne rentre pas, ne force pas / Tu peux la lubrifier / Vas-y doucement…
Bumps Blackwell flaire le succès potentiel de cette chanson et décide de l’étoffer en l’habillant d’un texte plus décent. Il demande à Dorothy LaBostrie, jeune parolière qui se trouve présente dans les studios, de réécrire le texte de « Tutti Frutti ».
Devenue politiquement correcte, « Tutti Frutti » est immédiatement enregistrée. En une quinzaine de minutes, deux prises suffisent à mettre en boîte ce qui deviendra un des plus grands standards du rock’n’roll avec son légendaire « Wop Bop A Loo Bop A Lop Bam Boom ! » en introduction.
Lors de sa sortie, « Tutti Frutti » est immédiatement reprise par le sirupeux Pat Boone. Pour la petite histoire, sachez que Little Richard a volontairement accéléré le tempo de sa composition « Long Tall Sally » qu’il enregistre à Los Angeles le 29 novembre 1955, afin de faire en sorte que la chanson soit trop rapide pour être interprétée par Pat Boone. Peine perdue, le crooner blanc de ses dames enregistre illico sa version de « Long Tall Sally » et en vend plus d’exemplaire que Little Richard…
Mais, les dés sont jetés, Little Richard obtient son premier grand succès et passe l’épreuve du feu en se produisant à l’Apollo Theatre de Harlem.
La suite est une impressionnante série de hits, généralement tous écrits par Little Richard et Bumps Blackwell. Citons « Slippin’ And Slidin’ », « Miss Ann », « Ready Teddy », « Rip It Up », « Good Golly, Miss Molly », « Jenny, Jenny », « Ooh ! My Soul », « Keep A Knockin’ », ou encore « Lucille », composition d’Al Collins.
Avec sa fine moustache et sa coiffure façon Pompadour, Little Richard influence de nombreux artistes, à commencer par Elvis Presley, Jerry Lee Lewis, les Beatles bien sûr, mais aussi Jimi Hendrix – qui l’accompagna sur scène à ses débuts – et Prince qui s’inspireront autant de sa musique que de son look.
En octobre 1957, au terme d’une tournée australienne, cette folle furieuse, hurleuse et extravagante de Little Richard pète résolument les plombs. En proie à une révélation mystico religieuse aussi soudaine que foudroyante, le chanteur jette ses précieuses bagues dans la mer et décide de retourner aux U.S.A où début 1958, il se retire dans une sorte de monastère, le Oakwood College de Huntsville en Alabama, pour se consacrer, pleinement et durant trois ans, à des études religieuses…
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