Odile de Petriconi nous propose une lecture du roman de Kamel Daoud, Meursault, contre-enquête, publié aux éditions Actes sud. 

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Meursault, contre-enquête est un hommage en forme de contrepoint rendu par Kamel Daoud à L’Etranger d’Albert Camus. Haroun, le narrateur du roman de Kamel Daoud est le frère cadet de « l’Arabe » tué par Meursault dans le roman d’Albert Camus. Soixante-dix ans après les faits, Haroun redonne une identité et une histoire à son frère, Moussa, mort par hasard sur une plage trop ensoleillée d’Alger.

Ce roman est pratiquement un monologue d’Haroun, vieil homme tourmenté, solitaire, marginal et étranger dans son pays.

Mon avis est partagé sur ce premier roman de Kamel Daoud, dont j’attendais énormément car j’avais eu un gros coup de coeur pour L’Etranger. Ce texte de Kamel Daoud, qui se veut être une réponse au roman d’Albert Camus, n’est pas facile, très fouillé, très psychologique. En fait, Moussa reste dans l’ombre, on ne sait même pas ce qu’est devenu son corps. Haroun parle surtout de sa difficulté de vivre après la mort de son frère aîné, et de ses rapports très tendu avec sa mère. Mère qui identifie le cadet à l’aîné. Haroun ne vit pas pour lui-même, mais semble remplacer le défunt. Ce huis-clos m’a semblé très pesant. L’atmosphère est lourde. C’est un texte qui ne peut que laisser des traces dans l’esprit du lecteur, allant jusqu’à provoquer une sorte de malaise. Par ailleurs, Kamel Daoud y aborde aussi des sujets brûlants tels que la colonisation, l’indépendance de l’Algérie ou les rapports avec la religion. Ecrivant entre-autres ce passage :

« Il y a, en face de mon balcon, juste derrière le dernier immeuble de la cité, une imposante mosquée inachevée, comme il en existe des milliers d’autres dans ce pays. Je la regarde souvent depuis ma fenêtre et j’en déteste l’architecture, son gros doigt pointé vers le ciel, son béton encore béant. J’en déteste aussi l’imam qui regarde ses ouailles comme s’il était l’intendant d’un royaume. Un minaret hideux qui provoque l’envie de blasphème absolu en moi. Une sorte de : « Je ne me prosternerai pas au pied de ton tas d’argile », répété dans le sillage d’Iblis lui-même… Je suis parfois tenté d’y grimper, là où s’accrochent les hauts-parleurs, de m’y enfermer à double tour, et d’y vociférer ma plus grande collection d’invectives et de sacrilèges. En listant tous les détails de mon impiété. Crier que je ne prie pas, que je ne fais pas mes ablutions, que je ne jeûne pas, que je n’irai jamais en pèlerinage et que je bois du vin – et tant qu’à faire, l’air qui le rend meilleur. Hurler que je suis libre et que Dieu est une question, pas une réponse, et que je veux le rencontrer seul comme à ma naissance ou à ma mort ».

Kamel Daoud se montre particulièrement courageux, voire très imprudent, à notre époque où les fanatiques religieux obtus traquent sans pitié les intellectuels et toutes personnes qui luttent pour la liberté d’expression ou de conscience et la survie de la culture. Un livre qui fait réfléchir, qui peut déranger aussi. Un texte, que pour mon confort personnel, j’aurais souhaité plus léger… Mais un texte de valeur, écrit par une bien belle plume. Un livre pour lequel les avis des lecteurs peuvent être très tranchés, mais un roman qui ne peut en aucun cas laisser indifférent.

Informations utiles

Kamel Daoud, Meursault, contre-enquête, Arles, Actes sud, 2013, 152p., 6,80 euros. 

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