Le 13 avril 2024, au café des Palmiers de Bastia, Musanostra a consacré un moment littéraire à Franz Kafka avec la participation d’Isabelle Casta et de Jean-François Roseau.
Un moment littéraire convivial
Samedi 13 avril, à 18h, au Café des Palmiers, sur la place Saint Nicolas, a eu lieu le rendez-vous un moment littéraire dédié à la solitude des personnages et des auteurs.
Les lecteurs et auteurs étaient invités à venir dire ce qu’évoque pour eux ce lien, à quels romans ou personnages ils pensent. Le moment promettait d’être riche, il le fut !
Dans ce sympathique café du centre ville de Bastia, à l’heure de l’apéritif, se sont rassemblés des lecteurs intéressés par la thématique, large, décalée, même, qui invitait à se demander si la littérature et la solitude ne sont pas intimement liées.
Littérature et solitude
Des titres fusent, des noms d’auteurs. Chacun a son idée de ce qui dans les romans, les essais ou dans la poésie , rend le plus compte de la solitude de l’auteur.
Ainsi Madame Bovary, Robinson Crusoe, la vie de Marcel Proust, Corto Maltese, Le désert des tartares, Désert solitaire, et bien d’autres interventions. On semble penser que le lien est inépuisable et qu’il y a toujours grande solitude , lorsqu’on écrit et lorsqu’on lit également. Dans le public, Philippe Alessandri, dont le 3e roman vient de paraitre, reprend l’idée qu’écrire, c’est trouver des temps de solitude.
Kafka, une solitude nécessaire ?
Le professeur Zara Casta qui avait inspiré cette thématique en proposant de consacrer un café littéraire à « Seul comme Franz Kafka » , évoque la vie de Franz et son oeuvre, sa famille, ses parents, ses sœurs, ses amis et fiancées. Cela peut paraitre anecdotique. Quoiqu’en perpétuel retrait de toutes les obligations familiales, Kafka a quand même vécu chez ses parents jusqu’à 30 ans. Seul garçon de la famille, il avait d’ailleurs sa propre chambre. Ses trois soeurs et le couple Herman/Julie se partageaient le reste du petit appartement. Cela lui faisait dire: « je les hais tous, tour à tour! »
Qui était-il , Franz Kafka ? Et peut-on penser qu’il était seul ? Dans ce cas, quel type de solitude? Il était entouré , dans une famille unie, il fut aimé, trouva enfin le grand amour, pourquoi le penser seul ?
La traduction, une question fondamentale
Cet auteur souvent mal connu du fait de son étrangeté ou encore de ses traductions a connu diverses fortunes ; pour évoquer les difficultés liées au passage d’une langue à l’autre, on peut considérer, comme l’a fait Zara Casta, le début de trois traductions de La Métamorphose.
Trois exemples
À ce propos, Isabelle Zara Casta propose ces trois exemples, pour l’incipit de La Métamorphose :
« Un matin, au sortir d’un rêve agité, Grégoire Samsa s’éveilla transformé dans son lit en une véritable vermine » (Alexandre Vialatte, 1928, crédité 1955 pour le copyright Gallimard) ;
« Lorsque Gregor Samsa s’éveilla un matin au sortir de rêves agités, il se retrouva dans son lit changé en un énorme cancrelat » (Claude David, 1989) ;
« Lorsque Gregor Samsa s’éveilla un matin au sortir de rêves agités, il se retrouva dans son lit métamorphosé en un monstrueux insecte » (Brigitte Vergne-Cain et Gérard Rudent, 2000).
Ils sont le reflet des biais cognitifs qui informent chaque moment de la sensibilité française au texte originel, que voici : « Als Gregor Samsa eines Morgens aus unruhigen Traümen erwachte, fand er sich in seinem Bett in einem ungeheueren Ungeziefer verwandelt » (1912, publié 1917).
Un texte en pleine métamorphose
En 1928, on voit la francisation du prénom, la disparition du pluriel des « rêves » en un rêve… Ce simple et bref rappel nous dit combien un texte vit, se modifie (on n’ose dire se métamorphose) et nous parle à travers le temps et les frontières linguistiques. Seuls les germanistes peuvent d’ailleurs saisir la nuance entre vermine, cancrelat et insecte, mais ceci est une autre histoire !
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Marthe Robert et la solitude de Kafka
Isabelle Casta, explique : Seul, comme Franz Kafka… Cette formule est due à Marthe Robert ; Il s’agit en fait de la reprise d’une confidence faite à Janouch, aux dires de ce dernier (Conversations avec Kafka, 1978). Marthe Robert en a fait le titre de l’un de ses ouvrages consacrés à l’auteur, en 1979 : Seul comme Franz Kafka.
Thomas Mann a prêté un roman de Kafka à Einstein. Il le lui a rendu en disant : « Je n’ai pas pu le lire, l’esprit humain n’est pas si complexe ». C’est cela, la « solitude » de Kafka !
La littérature, l’espace de liberté de Kafka
Comme le dit son biographe Rainer Stach : « souvent, les phrases de Kafka vibrent en nous comme des flèches plantées dans des cibles qui n’existaient pas au moment où elles ont été lancées. Toutes atteignent le cœur aussi bien que l’esprit, sans qu’on sache bien comment ni pourquoi ». Lui même disait : « Tout ce qui ne se rapporte pas à la littérature, je le hais, les conversations m’ennuient (même quand elles se rapportent à la littérature), faire des visites m’ennuie, les peines et les joies de mes proches m’ennuient jusqu’au fond de l’âme. »(Reiner Stach, Kafka, le temps des décisions, trad. Régis Quatresous, Paris, Le Cherche midi, 2023, p. 535.)
Pour cette universitaire passionnée, auteure de nombreux ouvrages remarquables, des dates anniversaires de Kafka approchant, il était important de lui consacrer un moment !
Quelques conseils de lecture
Pour ceux qui veulent retrouver un titre…Elle a présenté les ouvrages suivants :
- Magdaléna Platzovà, La vie après Kafka, Barbora Faure trad., 2023, Agullo Editions.
- Léa Veinstein, J’irai chercher Kafka, une enquête littéraire, Flammarion, 2024
- Reiner Stach, Kafka, tome 1, le temps des décisions, trad. Régis Quatresous, Le cherche midi, 2023.
- Reiner Stach, Kafka t. 2, le Temps de la connaissance. Traduit de l’allemand par Régis Quatresous. Le Cherche Midi, 2023.
- Sereine Berlottier Avec Kafka, coeur intranquille, édition Nous, 2023
- Marie Philippe Joncheray, J’avance dans votre labyrinthe, Lettres imaginaires à Franz Kafka, Le nouvel Attila, Le Seuil, 2023.
- Laurent Seksik, Franz Kafka ne veut pas mourir, Gallimard, 2023,
- Benjamin Balint, Le Dernier Procès de Kafka. Le sionisme et l’héritage de la diaspora (Kafka’s Last Trial), Philippe Pignarre (trad.), Éditions de La Découverte, 2020.
- Klaus Wagenbach, Kafka, Alain Huriot [trad.], Seuil, « Écrivains de toujours », 1968.
- … et évidemment : La Métamorphose, dans Récits, romans, journaux, traduction de Brigitte Vergne-Cain et Bernard Rudent (Pochothèque, 2000)
- Et Les versions bilingues de Claude David (Gallimard, « Folio », 1991). De Brigitte Vergne-Cain et Bernard Rudent (Livre de Poche, 1998). De Bernard Lortholary (Garnier-Flammarion, 1988).
D’autres solitudes
Jean-François Roseau, écrivain en mission à l’institut culturel français de Vienne, nous a entretenus aussi de diverses solitudes durant ce moment littéraire. On a lu de lui La chute d’Icare, La jeune fille au chevreau, Les rêveries de Barbey et bien d’autres articles, tous passionnants.
Il vient de faire paraitre une traduction des Rimbaud de Stefan Zweig aux éditions Magellan & Cie
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