par Tepee
Le centre et le prétexte de ce livre sont une critique mordante de l’action humanitaire. Depuis une trentaine d’années, avec la fin des illusions socialistes, la charité a pris sa revanche sur la justice sociale. C’est par exemple l’apparition des restos du coeur au moment où se mettaient en place des politiques de rigueur. Ainsi l’enquête du narrateur dans le milieu des ONG et autres associations caritatives vise-t-elle à démontrer que celles-ci, loin de favoriser l’émancipation des personnes et des peuples, les maintiennent en réalité dans l’assistanat, la dépendance, la victimisation.
Les travailleurs humanitaires gèrent l’univers des exclus comme un camp de réfugiés. Avec des normes de vie qui ne sont que des normes de survie.
Il suffit d’observer ce qui se passe à Haiti.
L’enquête se déroule précisément à Pattaya, en Thaïlande, capitale
internationale de la prostitution. Y pullulent des ONG affectées à la
« réinsertion » des travailleurs du sexe. Or toutes ces ONG légitiment
leur action à travers les mêmes présupposés idéologiques, ceux qui
reviennent toujours en pareille situation. Le business du sexe serait
contrôlé par des réseaux impitoyables, alimenté par des systèmes
mafieux de traite des êtres humains, et les filles, vendues par leurs
familles, lobotomisées par les violences, se trouveraient en position
de quasi esclavage sexuel. Encore des victimes à sauver contre leur grè…..Mais la propre rencontre amoureuse du narrateur avec l’une de
ces filles, les contacts qu’il prend, ce qu’il observe – corroborés
par des rapports du BIT – vont à l’encontre de cette vision
fantasmatique du trafic. Quoiqu’on pense de la prostitution ( c’est
une autre question ), la coercition, à Pattaya, y reste l’exception,
le libre choix la règle.
En corollaire de l’enquête, l’expérience empirique de la ville de
Pattaya permet au narrateur de mettre en perspectives le tourisme
sexuel de masse. Et de s’apercevoir que si le lieu est si vilipendé,
considéré comme abject et sordide, c’est pour des raisons bien
davantage sociales et esthétiques que morales. Pour des écrivains
comme Houellebecq, qui y voit le cloaque de l’Occident, le grand
défaut de Pattaya est d’abord d’injurier, de démocratiser, les modèles
libertaires transgressifs des classes dominantes mondialisées. Le sexe
low cost, c’est comme le Camping des Flots : on s’y déclasse.
Enfin, la narration en partie romanesque du livre offre à l’auteur,
dans un dernier chapitre, l’occasion de pratriquer sa propre
auto-socio-analyse. Il fait l’introspection publique de ses
déterminants sociaux, Corse, aristo, etc et traque, à travers ce
séjour à Pattaya, qui agit comme un révélateur, les manifestations de
sa névrose de classe.
Article réédité, première publication par Musanostra en 2011
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