Pour la collection « Une nuit au Musée », Lola Lafon passe la nuit au Musée Anne Franck. Pendant cette nuit, l’écrivaine s’intéresse à la vie de cette jeune femme confrontée à l’horreur de la guerre. Elle concentre également son attention sur le Journal d’Anne Franck. Comment le classer littérairement ? Un témoignage ? Un Journal ? Une œuvre ? Il s’agit d’un livre bouleversant que nous propose Lola Lafon.
Par Sophie Demichel-Borghetti
Une prière pour Anne Franck
Les mots de Lola Lafon, comme sortie des enfers, sont cette prière qui n’existe pas, cette prière que l’on ne veut pas. La mort et le supplice d’Anne Franck sont inexcusables, inacceptables ! Et pourtant, Lola Lafon a su trouver, dans les traces laissées par cette enfant, cette impossible prière, ce kaddish – קדיש -, immémoriel, incessant, entêtant.
Il est des moments où il devient vital que « les mots battent au cœur de l’essentiel ». C’est l’un de ces événements-là que nous prenons dans les mains en ouvrant ce livre.
Le journal d’Anne Franck : naissance funeste d’un écrivain
Comme si, en cette réclusion provisoire et parfois légère, pourtant, elle avait pu, elle avait su trouver une forme de grâce. Celle des mots de ce journal, de ces mots qui se découvrent comme une œuvre et non seulement un « témoignage ». Une pure création : la naissance d’une écrivaine, qui continue d’écrire aujourd’hui, dans le sous-texte de ce livre livré à nous sous le nom de « Journal ».
Quant à celle qui nous offre sa relecture si personnelle de ces mots, dans ces conditions si particulières, c’est que sa mémoire l’oblige, comme convoquée par ses propres fantômes ! Il lui a fallu retrouver l’enfant inventant des mots nouveaux, redevenir cette enfant, parce que ce sont les mots des enfants qui, seuls, savent convoquer les morts.
« Anne n’oeuvrait pas pour la paix, elle gagnait du temps sur la mort en écrivant sa vie »
Lauren Nussbaum, citée par Lola Lafon
C’est dire à quel point ces mots trouvés furent ceux d’un écrivain – d’une écrivaine -, ceux qui créent et laissent un combat, une résistance, un espoir malgré tout.
Lola Lafon a pisté, recherché jusque dans l’invisible, l’improbable, les traces d’Anne Franck. Celles d’une écriture au-delà de tout témoignage. Celles-là de l’écriture-même, de ce qui fait que l’on doive « écrire » vraiment, que l’encre, le papier, deviennent nécessités au-delà de toute vie. « Nous sommes les enfants des romans que nous avons aimé ».
Nous ne sommes que cela.
Des livres contre la nuit
Alors, cessons d’utiliser les mots du « Journal d’Anne Franck » comme un « premier pas dans la nuit », comme la mémoire d’une mort annoncée, mais comme un livre ouvert dans la nuit mais, justement, contre celle-là même, livre ouvert à jamais comme sortie perpétuelle de toute ombre projetée, y compris celle-là qui doit venir, pour tous.
Et Lola Lafon interroge en ces lignes sa propre écriture, au travers de cette écriture hors-la loi. L’essentiel est ce qui reste lorsque l’on devient hors la loi : Si ce n’est pas écrire, alors écrire n’est rien.
Une réflexion sur sa propre écriture
Dans ces lieux, dans ces mots, elle a retrouvé, aussi une histoire qui était la sienne sans qu’elle ne le sache vraiment. Et cette histoire revient, en son enfermement, comme en écho perpétuel avec cette autre famille qui fut involontairement recluse, morte aujourd’hui, mais toujours présente, qui toujours, dans cette présence obsédante, doit nous contraindre à refuser tout indifférence.
Au terme de cet emprisonnement, certes voulu et provisoire – et tout change, quand ce risque de la mort imminente ne plane pas -, mais auquel, pourtant, l’autrice est comme convoquée. Elle est « appelée », à ce terme-là, les textes de cette convocation se révèlent lus tels qu’ils l’auraient dû, non tels qu’ils le sont, comme une réminiscence éternelle et non une mémoire privée.
De cette expérience, que lui resta-t-il ? De cette lecture, que nous reste-t-il ?
La lecture d’un chant
Que reste-t-il aujourd’hui en nous à dire, à lire alors du « Journal… », qui est tout sauf un journal. Cette trace, nous la rappelle un chant, peut-être. Un chant, plus ou moins bien écouté. Ce chant qui, tels ces mots relus enfin, qui nous dit que nous ne sommes rien, pour finir, rien d’autre que les rêves fous dans l’esprit errant et terrifiant d’un Autre que nous ne savons pas. C’est ce « rien », vu dans la solitude de l’Annexe, la certitude de ce « rien » qui a créé ce livre.
Alors il faut lire « Le jour où tu écouteras cette chanson » avant de relire le « Journal d’Anne Franck », pour le lire, le penser et l’entendre du plus loin, du plus haut, du point de vue incessant de ce désir de vivre, de vivre malgré tout, qu’est réellement l’écriture.
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Lola Lafond, Quant tu écouteras cette chanson, Paris, Stock, coll. « Une nuit au musée », 2022.
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