Dans « Un été avec Rimbaud », Sylvain Tesson, écrivain et aventurier, rend un vibrant hommage au prodige de la poésie française. Une approche originale, pour entretenir dignement la mémoire de ce poète fascinant et inviter le lecteur à rêver quelques instants.

Par : Caroline Vialle

Édition des Équateurs, maintenant familière dans sa collection « Un été avec ». Et c’est avec Rimbaud que Sylvain Tesson et Olivier Frebourg nous proposent de passer un moment et, pourquoi pas, l’été entier. Couverture d’un orangé chaud qui n’est pas sans me rappeler les canas récemment plantés. Oui, nous sommes dans les meilleures dispositions pour débuter l’été.

« La poésie est le mouvement des choses »

C’est donc en partant marcher sur les pas de Rimbaud (mais Sylvain Tesson pourrait-il écrire autrement qu’en mouvement ?), qu’ils s’apprêtent tous deux à partager avec nous la fugue dans les Ardennes d’un garçon de 17 ans en l’année 1870.

Tesson retrace le parcours poétique et géographique du poète-génie avec son humour grinçant et sa vision acérée des choses et des hommes. Au fil des pas, il évoque la mère austère, l’enfant beau, fragile et précoce à s'exprimer dans une langue poétique qui "...renvoie à la double présence qui s’appelle Dieu, le génie ou le diable...".

Rimbaud, l’avant  « avant-gardiste », ne sera pas compris pour être arrivé trop tôt dans cette mue artistique de la fin du XIXe siècle.

Mais c’est moins sur des chemins de boue et de pierre que sur les chemins de l’esprit rimbaldien que Sylvain Tesson va finalement nous emmener pour partir à la découverte du poète. Ce sont "L’Alchimie du verbe", "Une saison en enfer", qui nous sont tour à tour expliqués à travers la sensibilité, "l’hyper attention à toute chose" mais aussi la consommation d’opium et autres substances illicites du poète qui aboutiront aux "Illuminations", visions fulgurantes et fugaces appelées "images hypnagogiques".Tesson évoque Paul Claudel pour nous décrire la lecture des vers de Rimbaud, poète de la vision, en deux mots. "L’œil écoute". Page après page nous parcourons l’œuvre ayant suscité au fil du temps mille et une interprétations, tentatives d'explication de la pensée du poète.

« Mais il y a un temps pour les messages. Et un temps pour tourner le kaléidoscope. »

Sylvain Tesson choisit le pur plaisir de regarder les images. Et son choix s’accorde avec ces vers tracés par le poète :

« Ces mille questions
Qui se ramifient
N’amènent au fond
Qu ivresse et folie ».

Grâce à lui nous prenons la dimension de la violence dans la liberté du génie et l’incandescence de l’œuvre.

"Définition du génie :
Savoir avant de voir, connaître avant de goûter, entendre avant d'avoir écouté. À 16 ans Rimbaud donne dans le bateau ivre des images de l'océan sans l’avoir jamais vu. Il capte la matrice maritime mieux que des voileux à la vie hauturière".

Les titres des chapitres claquent les uns après les autres comme autant de pans de vie à explorer :

« Comme une traînée de poudre », « Les voix intérieures », « Mystère et boule d’opium », « L’enfer du décor », « Le saccage de soi-même », « La marche à la mort », « Le cancer de la douleur », « Il faut tenter de vivre » ….

Le mythe rimbaldien

Tesson pose la question: « Pourquoi la marche fait-elle si bon ménage avec la poésie ?…. Pour penser clairement, loin des jérémiades et des abominations de l’imagination, il ne faut pas rester assis ». Et encore : « Marcher c est engranger le matériau ». Il le sait bien, l’écrivain des «Chemins noirs» , à quel point mettre un pas devant l’autre permet de clarifier sa pensée, d’éloigner la détresse et pourquoi pas, quand on s’appelle Rimbaud ou Tesson, d’apaiser ce bouillonnement intérieur par l’encre et le papier.

« On traverse le monde, on le recompose avec vingt-six lettres… les hommes liés au mouvement le croient : rien ne peut s’écrire qui n’ait d’abord été vécu ».

Et ce n’est pas Nicolas Bouvier qui contredira Sylvain Tesson.  Dans « L’usage du Monde » , point de recherche d’apaisement d’une souffrance inexistante chez le jeune homme qui prend la route avec son camarade, mais juste « la poésie et le voyage. La route et l’écriture. La poussière de l’une devenant la substance de l’autre ». Les exemples sont infinis. 

Il n’y avait finalement que Tesson pour écrire Rimbaud. Pour tous deux la peur de l’ennui, l’humeur vagabonde, une curiosité farouche, la liberté chevillée au corps, l’amour des grands espaces et une plume qui ne s’assèche jamais.

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La fin du livre est la fin de vie. Sordide. Douloureuse. Nostalgie d’une vie brûlée trop tôt et qu’il n’a pas réussi à aimer suffisamment quand elle en valait encore la peine. Il meurt d’urgences à Marseille, arrivé à temps d’Afrique pour revoir les siens, sans savoir que « le mythe » rimbaldien est en marche.

Ce que Sylvain Tesson a choisi de nous raconter est bien moins la fugue d’un adolescent que celle de toute une vie.
« L’homme aux semelles de vent » avait prévenu :

« D’ailleurs, il y a une chose qui m’est impossible, c’est la vie sédentaire. » 



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