D’une aube à l’autre de Laurence Tardieu est un témoignage poignant des 158 jours de confinement hospitalier auprès de son fils de cinq ans atteint de leucémie. Un roman très fort sur le courageux combat d’une mère contre la maladie et contre la mort.
Par : Caroline Vialle
En partant faire du vélo ce samedi matin ensoleillé du 21 janvier 2022, mon choix de podcast se porte sur le premier qui a trait à la littérature, comme chaque fois ou presque. C’est Laurence Tardieu qui est interrogée deux jours plus tôt par Arnaud Laporte dans « Affaires culturelles ». Je démarre donc ma journée avec elle. Je suis d’humeur légère, quelques heures plus tard il est prévu que je partage mon déjeuner avec mes amies intimes, la journée s’annonce belle.
Dès les premières phrases je comprends que quelque chose se passe. La voix est claire, la parole coule mais chaque mot est pesé, réfléchi. Elle accorde la même importance viscérale que moi au mot juste. Laurence commence à nous parler de son destin littéraire, de sa vocation, avec une gravité qui vient du plus profond d’elle-même. Elle arrive à nous faire comprendre les moindres nuances de son besoin d’écriture, la façon dont elle a construit son chemin de vie avec les mots. Comment, après des études brillantes, elle a osé parler à son père de ce désir qui la tiraille déjà depuis plusieurs années et dont elle sait qu’elle ne pourra pas faire « sans ». Ce père qui a joué un rôle si important dans sa vie, un rôle si important dans son dernier livre. Ce père pour lequel elle a déjà écrit un premier livre.
Au plus près de son ressenti
Elle ne pourra pas vivre sans écrire. « L’écriture, c’est ma colonne vertébrale ».
Pendant l’interview, on la sent s’interroger sur chaque phrase qu’elle prononce, y revenir en pensée, lors d’un court silence, afin de s’assurer rapidement que ses mots sont au plus près de son ressenti, et lui ont permis d’être comprise par son auditoire.
Elle nous parle enfin de ce dernier livre. Sans doute le plus difficile. Celui qui vient du plus profond d’elle-même, de son cœur, de ses tripes, de son héritage de mère depuis la nuit des temps.
Ce livre, puisqu’elle a si bien su me parler d’écriture le matin, je l’achète le soir même. Je connais le sujet. Je sais que si je n’avais pas entendu son autrice parler de façon aussi forte de la manière d’être à l’écriture, je n’aurais pas souhaité le lire. Rentrer dans l’intimité des gens, même si elle est offerte, consentie, est toujours difficile. J’ai la discussion avec un ami : lire, ou pas, les correspondances amoureuses ? S’autoriser, ou pas, à rentrer dans la vie des autres ? De quelle manière?
Si on ne le fait pas, c’est à la fois rester fidèle à ses principes et laisser échapper tout un pan d’écriture que l’on ne retrouvera nul part ailleurs. Les correspondances amoureuses sont les mises à nu de l’écriture.
Ta part archaïque, primitive
Dans ce livre aussi il s’agit d’amour. L’amour le plus fort qui soit. L’amour d’une mère pour son enfant. Le combat d’une mère pour son enfant au seuil de la mort.
« La force que tu trouves, qui déferle d’un coup sur toi….elle vient de plus loin que toi. Elle vient d’un temps très ancien, c’est ta part archaïque, primitive, qui d’un coup a pris les commandes. ….il y avait derrière toi une puissance rugissante, l’histoire de toutes les mères depuis les premiers temps du monde. Tu étais traversée par leur courage, leur énergie inébranlable, elles avaient déposé en toi, sans que tu le saches, un limon fait d’instinct de survie et de protection et tu ne le savais pas… ».
Après des mois de silence, d’absence de mots, elle écrit le temps passé au chevet de son fils de 5 ans quand se déclare la maladie, au premier jour du premier confinement, le 17 Mars 2020.
Une prose faite de phrases serrées, condensées, alterne avec des parties en vers libres qui scandent le récit et font immédiatement penser au « Charlotte« de Foenkinos. Le drame rétrécit tout, les pensées, le temps et les phrases.
Se mettre entre lui et la maladie
Dans ces 230 pages où elle écrit les 158 jours passés à côté de son petit garçon pour lutter avec lui contre la leucémie, se mettre entre lui et la maladie, elle décrit la terreur, l’angoisse, l’amour, l’espoir fou, la perte d’espoir, le néant, le vide, le noir, la lumière, le printemps avec une telle force que je ne respirais plus. N’importe quelle mère comprend de l’intérieur ce qu’elle nous écrit, n’importe quelle mère cherche son souffle et ressent la barre qui s’installe juste au-dessous de la poitrine, qui empêche de respirer.
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C’est un livre qui pourrait se lire d’une traite, mais qui ne peut pas. Il faut revenir respirer à la surface, le fermer en sachant qu’on a fait l’erreur de l’ouvrir avant la nuit, aller chercher un peu de beauté, d’air et de lumière avant d’éteindre cette même lumière. Moi, avant d’éteindre, j’écoute les nocturnes de Chopin. C’était déjà eux qui m’accompagnaient les premières nuits du premier confinement, quand Laurence et Adam fermaient leur porte à la mort, et que la France entière fermait sa porte au Covid.
Un souffle de vie
Je termine l’admirable, l’immensément admirable chapitre sur l’amitié. Son amitié avec Céline. Son amie de prépa. Son amie de 30 ans. Son amie de cœur et d’âme. L’hommage vibrant de Laurence à Céline est écrit avec la même profondeur que les heures terribles de la nuit dans laquelle elle lutte pour ne pas s’enfoncer. Ce chapitre est une bulle, un souffle de vie dans le livre, une merveille d’écriture et d’humanité, de reconnaissance et d’amour.
Et toujours, à gauche de chaque nouveau chapitre débutant systématiquement en page impaire, cette page qui relie au monde, aux petits bonheurs de la vie, à l’espoir, à l’été, à la Méditerranée, à la nature et aux paroles des êtres aimés. Cet oxygène page paire, avant de replonger dans l’angoisse noire et compacte du chapitre qui suit.
Je lis Laurence parler de la médecine, des médecins:
« Au cours de ces 158 jours j ai appris la force et la beauté insensée de ce métier ».
« Yassine… ne lui parlait pas d’adulte à enfant, encore moins de médecin à patient : il lui parlait d’être à être ».
Et je m’entends dire à mon fils, en troisième année de médecine, quelques jours à peine avant d’ouvrir le livre: « Tu fais les plus belles études. Tu vas faire le plus beau métier du monde ».
Presque à chaque page, presque à chaque phrase, mes sanglots de mère au fond de mon ventre et de mon cœur, parce que ce serait mentir de dire qu’on ne se projette pas. Presque à chaque page, presque à chaque phrase, mon admiration pour celle qui arrive à nous restituer si entièrement, si terriblement, si justement, toute la souffrance du monde, toute la beauté du monde.
Ce courage « animal »
Son histoire, leur histoire, Laurence Tardieu la raconte avec une immense pudeur mais toute la vérité. Elle ne la raconte pas, elle la jette en-dehors d’elle-même, l’extirpe de ses entrailles, amasse et condense ce qu’elle a vécu dans toutes les cellules de toutes les parcelles de son corps.
Je comprends et ressens chaque intuition, chaque émotion, chaque souffle de vie, chaque élan désespéré. Je retrouve l’immense abnégation dont chaque mère se sait capable pour son enfant au plus profond d’elle-même, ce courage « animal » de défense et de protection.
« Alors, quelle était la densité de ce que j’avais cru construire avant tout ça? »
Après tout ça, tout est à reconstruire avec cette nouvelle façon d’être au monde, cet élargissement de soi, cette perception à jamais aiguisée par la concentration des sentiments et des émotions. Par la mort qui a rodé si près de la partie la plus précieuse de la mère. Avec la peur qui ne sera plus jamais la même. Avec l’absence de peur.
« Je vois le monde aujourd’hui d’une autre manière : je le vois beaucoup plus simplement. Je le vois si beau. Je n’ai plus peur de rien ».
« La beauté, c’est le foudroiement même de la vie ».
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