Gaston Pietri publie aux éditions Albiana Fragments de vie, reflets d’Évangile, un livre dans lequel l’auteur donne une vision du quotidien motivée par la Parole de Dieu.

Dans Fragments de vie, reflets d’Évangile, Gaston Pietri propose une lecture du quotidien à travers quelques citations de la Bible. D’où le sous-titre : la Bible et le journal. Il s’agit, pour l’auteur, de montrer combien Dieu se trouve au coeur de la vie des hommes. En effet, tout l’enjeu de cette écriture fragmentaire, minimale, qui est celle de Gaston Pietri, repose sur la nécessité de renouer avec une Parole incarnée : Dieu s’insère dans les thématiques morales, politiques, sociales, qui répartissent notre vie. Bien sûr, si une vie se trouve mise en question dans ce livre, c’est celle de l’auteur lui-même : Gaston Pietri propose, avec toute l’humilité qu’on lui connaît, sa vision de la société, ses souvenirs, son rapport à la philosophie – sa manière donc d’accueillir et de restituer dans sa vie les mots de Dieu. Si une vie se trouve interrogée, c’est celle du lecteur : renouer avec une parole incarnée, c’est désirer, pour un catholique, que la communauté des chrétiens parvienne à réinvestir le domaine de la Parole. En d’autres termes, faire en sorte que le chrétien, impliqué dans un temps difficile et éloigné de la Parole de Dieu, inscrive pleinement dans ses mots et dans ses gestes la Parole du Très-Haut.

Si ce livre se présente sous une forme désorganisée, il s’organise néanmoins autour d’une idée centrale. Cette idée est extraite du Deutéronome (30 19): « Choisis la vie ». Autour de cette injonction se déploie la vision sociétale de l’Eglise : le refus de l’euthanasie (« La vie du mourant est encore la vie humaine », p. 15), le refus de l’avortement ( « Refuser à une vie naissante la chance d’aboutir, parce qu’on sait ou on croit d’avance l’accomplissement compromis : tel est le choix difficile à admettre », p.16). Cette façon de concevoir la vie intègre un débat philosophique que Gaston Pietri mène tout au long de son livre avec Jean-Paul Sartre. Gaston Pietri défend une position, celle de la responsabilité humaine vis-à-vis de la Création. Citant Hans Jonas, et son principe de responsabilité, ou encore Emmanuel Levinas, et l’ « assignation » qui est celle de l’homme dès sa naissance, Gaston Pietri défend un existentialisme chrétien : l’homme, né dans un monde qu’il ne comprend pas, n’est pas pour autant « jeté » dans celui-ci, mais « donné » par Dieu. L’homme possède, possession qui lui est attribuée par Dieu, l’ « autorité » (Genèse, 28) sur les choses et les êtres qui l’entourent ; cette autorité fait de lui le responsable du monde qu’il reçoit. Ce geste n’est pas une pleine puissance : l’homme possède certes la liberté de répartir et de ménager son espace, de protéger et d’organiser le vivant à sa guise ; mais cette liberté le contraint à d’immenses devoirs. Pour reprendre les termes de Gaston Pietri, la vocation de l’homme n’est pas simplement un appel de Dieu, c’est avant tout un « acte relationnel » (P.47). L’homme a la responsabilité de tout le vivant, et par cette responsabilité, il est lié à toute la création : l’homme agit sur la Création, et la Création vit en lui (« Le croyant sait que Dieu est non pas à côté mais à l’intérieur de sa liberté, ‘plus intime à moi-même que moi-même’ […] », p. 48). Cette position s’oppose au « projet » athée, celui du projet sartrien : dans l’existentialisme athée, Sartre considère que l’homme, sans avoir choisi de naître, se retrouve piégé dans un monde où rien ne lui est assuré. L’homme doit donc par ses gestes, par ses choix, par une certaine forme de refus de la « situation » familiale, scolaire, sociale, qui fonde sa liberté, bâtir son être. Dans la conception sartrienne, Dieu est remplacé par l’homme ; l’homme est au centre de sa propre création (Sartre, L’existentialisme est un humanisme : « L’homme est non seulement tel qu’il se conçoit, mais tel qu’il se veut, et comme il se conçoit après l’existence, comme il se veut après cet élan vers l’existence, l’homme n’est rien d’autre que ce qu’il se fait »). Le projet tient dans mon existence. L’auteur appelle « permissivité » cette liberté de l’homme qui lui permet d’administrer la vie telle qu’il l’entend : un individu qui fonde sa vie sur une liberté absolue peut décider de se tuer (euthanasie), gérer son corps et la vie qui y germe (avortement). L’individu n’est pas pour autant inconscient : dans la pensée de Sartre, autrui est emporté par mon « image ». Reconnaître l’autre comme un autre moi, c’est considérer que la construction de son moi entraîne toute l’humanité.

De cette manière, nous le voyons assez bien : il ne suffit pas d’inviter à « choisir la vie ». Après tout, les athées et les catholiques choisissent tous deux la vie. Cependant, il s’agit d’une vie et d’une responsabilité très différente. Deux formes de vocation s’interposent : celle d’un appel et celle d’une angoisse. Toutefois, et c’est sans doute ce qu’un catholique du XXIe siècle peut dire à son père : notre siècle nous appelle. Les catholiques, comme tous les êtres humains, sont responsables de la vie sur Terre ; ils veulent oeuvrer pour que le monde ne se défasse pas ; mais pour cela il faut que l’Eglise soit exemplaire, et il faut que l’Eglise écoute son siècle : pour ce faire, il faut investir les débats de société ; mais pas par une morale inadaptée à l’usage des hommes. Nous n’avons pas la vocation d’interdire à des personnes de même sexe qui s’aiment de ne pas s’aimer ; nous n’avons pas vocation à dire aux femmes et aux hommes qui décident de ce qui est bon pour eux d’agir autrement ; nous n’avons pas vocation à l’injonction – en revanche, nous avons le devoir de faire le ménage dans notre maison, qui est celle de Dieu, d’écouter les déshérités, d’aider ceux qui veulent s’élever, d’aimer les désespérés, de tailler du mieux que nous pouvons notre pardon, d’affiner notre écoute et notre silence, de proposer à la société qui est la nôtre, lorsqu’elle est si proche de la guerre, lorsqu’elle est traversée par une telle violence, un projet à la hauteur de notre temps et de notre responsabilité.

En savoir plus :

Gaston Pietri, Fragments de vie, reflets d’Évangile, Ajaccio, Albiana, 2019.


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