ARTICLE – Souvent décrié par ses adversaires, Columbo est l’idiot qui cache derrière sa fausse bonhomie une méthode implacable pour mettre les criminels face à l’évidence de leur crime. En ce sens, Columbo est l’homme de la méthode. Kévin Petroni revient sur cet inspecteur qui a fasciné plusieurs générations de spectateurs en modifiant les attentes de la série policière.

Qu’est-ce que la méthode cartésienne ?

Dans le Discours de la méthode, Descartes demande au sujet d’éprouver par une série de règles ce qu’il sait. Le doute est cet obstacle qui vient confirmer ou infirmer ce que l’on sait ou croyait savoir. C’est ce qui fonde l’évidence ; car, dans la pensée. cartésienne, elle est ce qui résiste au doute ; ce qui ne peut pas être contesté. « Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle; c’est-à-dire, d’éviter soigneusement la précipitation et la prévention, et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n’eusse aucune occasion de le mettre en doute. »

Columbo, un anti-héros

C’est sans doute le prototype moderne de l’anti-héros grotesque : un homme a priori dépourvu de charme et de charisme, maladroit et désordonné, distrait et futile, cache derrière sa fausse naïveté une remarquable intelligence. Si l’on devait lui chercher un illustre ancêtre, il faudrait sans doute se tourner vers le Saint Pétersbourg de Dostoïevski, et son Porphyre Petrovitch, juge d’instruction qui inculpe Raskolnikov pour ses deux meurtres avec toute la bonhomie du monde. Le cernant petit à petit de ses doutes, Petrovitch inquiète le criminel. Il défait l’ordre apparent du crime par une théorie empruntée au théâtre comique : la fausse confidence.

Columbo veut déplier la vérité. C’est cette lente et progressive réflexion idiote qui lui permet d’avancer avec certitude

Columbo présente naïvement au criminel ses inquiétudes, ses tâtonnements, sa progression. L’on pourrait croire que cette confidence place celui qui réalise la confession en situation d’infériorité,du moins c’est ce que croit le criminel qui y voit une manière d’orienter l’enquête. Or c’est en plaçant ce même criminel face aux faiblesses de sa mise en scène que celui-ci finit par trahir sa culpabilité. L’enquêteur l’étouffe jusqu’au moment où l’ensemble des faits apporte la preuve implacable de sa responsabilité. L’enquête se propose alors comme un long accouchement de la vérité : il s’agit de ramener le criminel, figé dans la posture du déni, du côté du vrai. Columbo est sans doute le personnage qui porte cette maïeutique à son degré le plus notable dans le récit populaire.

Le succès de la série ? Un récit policier à contretemps

L’on critique souvent la série en raison de son intrigue criminelle à rebours. Toutefois, c’est ce récit à contretemps qui lui confère son caractère inactuel: l’intrigue policière sert de prétexte. Columbo ne cherche pas un coupable,il cherche le récit implacable des faits. Columbo est une intrigue de la langue. Toute l’histoire repose sur cette question : comment le personnage parviendra-t-il à utiliser efficacement le langage pour contrer toutes les ruses argumentatives du criminel ? Dès lors, l’intrigue de Columbo se tourne vers le métalittéraire : un dialogue entre le coupable et lui pour renouer avec la première scène de l’épisode, à savoir le crime. Pour ce faire, il adopte la posture de l’idiot. Columbo est celui qui se présente comme un ignorant, et comme toute personne qui ignore, il doute de ce qu’il voit. Jamais il ne prend pour vrai le théâtre des évidences.

Columbo, l’homme de la méthode

En ce sens, Columbo est l’homme de la méthode. Il regarde, il écoute, il interroge ; il n’affirme rien a priori. Au contraire, Columbo apprend de son interlocuteur. L’inspecteur analyse son discours, le dissèque, recoupe les informations. Il distingue les faits vérifiés des choses à découvrir et de celles qui ne collent pas. Ainsi, « quelque chose [le] chiffonne » souvent dans son exposé des faits ; et c’est justement parce quelque chose chiffonne, brouille le sens, qu’il ne cesse d’aller et de venir,de synthétiser les réponses qu’on lui apporte pour mieux les énumérer et les vérifier : Columbo veut déplier la vérité. C’est cette lente et progressive réflexion idiote qui lui permet d’avancer avec certitude.

L’inspecteur ne se contente pas de ce qu’on lui raconte, mais se rassérène de ce qu’il voit. Columbo appliqué l’évidence, il regarde ce qui se présente à lui et qui ne peut pas être autrement ; c’est sa force et la faiblesse de ses adversaires, qui ne voit en lui qu’un débonnaire. Or Columbo est le personnage cartésien par excellence : il doute de tout afin de mieux faire surgir la certitude. Columbo, c’est l’homme de la méthode.C’est l’homme qui, dans le chaos du monde, parvient à restaurer le certain.

En savoir plus

René Descartes, Le Discours de la méthode, Paris, Livre de Poche, coll. Les Classiques de la philosophie, 2000.

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