Marina Fiquet nous parle de Le cas Eduard Einstein, de Laurent Seksik aux éditions Flammarion.
“Mon fils est le seul problème qui demeure sans solution.”. Voici les mots d’Albert Einstein, un cri venant de son coeur de père, à propos de son fils cadet. Personne aujourd’hui n’ignore qui est Albert Einstein. Physicien de génie, pacifiste… Pourtant, on connait moins ceux qui ont partagé sa vie et l’un des membres les plus méconnus de sa famille est sans conteste son troisième enfant et second fils: Eduard Einstein.
Né le 28 juillet 1910 à Zurich, Eduard est le troisième enfant et deuxième fils d’Albert Einstein et de sa première épouse, Mileva Maric. De ses frères et soeurs, il ne connaîtra que son frère aîné, Hans- Albert, sa soeur Lieserl ayant disparu vers 1903, un mystère pour les historiens. Il verra aussi peu son père: quand il a quatre ans, ses parents se séparent et sa mère a leur garde. Le divorce sera prononcé des années plus tard.
Eduard est un enfant à la santé fragile mais à l’esprit aussi brillant que ses parents. Excellent pianiste, il est aussi un très bon élève et entamera des études de médecine, avec l’ambition de devenir psychanalyste, une science qui le fascine. Il voue d’ailleurs une admiration sans borne à Freud. Un destin qui s’annonce aussi prolifique que celui de son père mais le sort en a décidé autrement: Eduard sombre dans la dépression, maladie trouvant ses racines dans la famille de sa mère (la famille Maric a eu beaucoup de membres atteints par des maladies mentales). Il ne s’en remettra jamais vraiment. Pire encore, au début des années 1930, on le diagnostique schizophrène. Débutent alors pour lui des années d’allers et retours entre sa maison et les cliniques psychiatriques jusqu’à la mort de sa mère en 1948.
Dès lors, il passera le plus clair de son temps au Burghölzli, à Zurich, jusqu’à son décès en 1965 d’un AVC. Une vie brisée par la maladie et par la méconnaissance de la santé mentale de l’époque: les thérapies telles que les électrochocs, les chocs à l’insuline, détruiront peu à peu ses capacités cognitives et affecteront son intellect. L’un des arrières petits-enfants d’Albert Einstein, né en 1961, est appelé Eduard en l’honneur de cet homme au destin brisé. Les descendants du père de la théorie de la relativité se battent pour de meilleurs traitements de la maladie mentale.
C’est ce jeune homme que Laurent Seksik célèbre dans son roman Le cas Eduard Einstein, le seul livre français évoquant la triste vie de cet homme. Originalité de l’oeuvre: plutôt que de se focaliser sur le point de vue d’Eduard, on explore trois points de vue: Eduard bien sûr mais aussi sa mère et son père. Le point de vue d’Albert Einstein nous dévoile une image peu connue du scientifique: le père aimant mais aussi terriblement maladroit et inquiet. Eduard et lui ont des relations difficiles en raison de la situation familiale. Albert n’aura pourtant de cesse de s’inquiéter et luttera, en vain, pour faire venir son cher Tete, comme il le surnomme, aux Etats-Unis. On le lui refusera: on n’accepte pas les malades sur le sol américain.
Le point de vue de Mileva n’est pas si différent de celui de son ex-mari: un parent qui se bat pour son enfant, qui veut le meilleur pour lui, son impuissance face à la maladie aussi. Enfin, le point de vue dominant, celui d’Eduard, a une différente notable face à celui de Mileva et d’Albert: il est rédigé à la première personne. On entre ainsi réellement dans sa tête, dans ses pensées et on y voit toute l’étendue de la culture du jeune homme que l’on vient d’interner, toute sa souffrance, ses rancoeurs, sa lucidité douloureuse sur son état.
On découvre aussi, grâce à lui, l’envers du décor et la vie en hôpital psychiatrique dans les années 1930. Terriblement attachant, on souhaite sa guérison mais on sait presque d’office que cela est impossible. On vit alors avec lui sa descente aux Enfers ainsi que des délires schizoïdes. On le voit régresser, passant de ce jeune homme si prometteur à un homme enfant détruit par les traitements censés le guérir. Tout comme ses parents, nous assistons, impuissants, à sa déchéance.
A travers Eduard, Laurent Seksik écrit une espèce de plaidoyer pour briser le silence autour de la maladie mentale.
En 2017, la série Genius de National Geographic dédie un épisode entier à Eduard, interprété avec brio par Eugène Simon, plus connu alors pour son rôle de Lancel Lannister dans la série Game of Thrones. On y retrouve ce jeune homme brillant, terriblement lucide sur sa condition, toute sa rancoeur envers son père avant de le retrouver, quelques épisodes plus tard, dans des adieux doux- amers.
Deux jolis hommages à une vie gâchée par la méconnaissance de la santé mentale à l’époque, à un destin brisé, à un homme dont la tombe n’existe plus aujourd’hui…
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