Des enfants qui jouent, des parents insouciants et le cadre paradisiaque d’une insularité protectrice. Mais que cache le tableau idyllique brossé par Cécilia Castelli dans Frères Soleil ?

Par : Sophie Demichel

La poursuite de la lumière, comme celle de la vérité, mène parfois aux lieux des plus grands mystères.

Le roman de Cécilia Castelli explore, au travers du parcours de jeunes hommes, de jeunes femmes, dans le temps de leur « intime » et de leur vie sociale, la rencontre chaotique des rêves des enfants et de la réalité violente des adultes.

Cette histoire se voit partagée entre de multiples figures. Nous entrons dans le parcours initiatique de jeunes corses qui se croyaient heureux quoiqu’il arrive, dans le balancement de familles des deux côtés de la grande mer ; nous croisons leurs choix parfois lourds de conséquences, même s’ils ont semblé parfois si faciles… comme dans la vie.

cécilia castelli
Cécilia Castelli est née et vit à Ajaccio

Et tout commence forcément, dans la vie et dans nos mémoires, par des histoires de gamins. Des gamins qui s’amusent à recréer un royaume, à retrouver des vestiges perdus, des rites ancestraux. Qui s’amusent dans ce secret cruel, toujours cruel, des jeux des enfants. Mais les enfants grandissent, et la cruauté apprise se rappelle parfois, quand leur histoire, commune ou distincte, les conduit à une impasse.

Une île tragique et joyeuse

Si le diable se cache dans les détails, le destin peut se cacher dans le maquis.

Ainsi, c’est cette impasse des retours aux sources familiaux, dans une écriture limpide, que va scruter l’autrice. Et elle va nous conduire, au travers de confrontations et de croisements de destins d’enfants marqués par les stigmates d’une île aussi tragique que joyeuse, à suivre des parcours parfois chaotiques de vies. Et ces vies, qu’elles fussent heureuses ou manquées,  nous ramèneront au destin de l’île.

 « Frères soleil », certes, est une histoire de familles ; mais ces histoires précises, cette histoire-là ne saurait rester fixée à ses anecdotes, tant l’écriture de Cécilia Castelli parle à chacun de nous, nous rappelle un coin de village, un foulard noir entr’aperçu en nos souvenirs. Son récit, par les signes qu’il convoque, fait exploser le domaine strict de l’héritage, du sang et des relations intimes. Il montre qu’ici, toute histoire privée est symbolique, bénite des dieux ou portant la malédiction, des sorcières, du diable. Toute histoire privée est commune, « dit » quelque chose du commun, même si cela ne se formule jamais.

L’ordre des hommes

Ce récit fait entendre que la Corse, que l’on en vienne, que l’on en parte ou que l’on y revienne, est île sacrée, lieu dont les traces ne racontent pas que l’histoire de l’homme ou de la femme qui les porte, mais celle de la famille, des villages, des ancêtres.

Et puis, dans « Frères soleil », les destins des femmes et des hommes se croisent, mais sans vraiment se rassembler. Ce roman nous fait entendre, aussi, combien la Corse est « île des fils » : ce sont ceux-là qui deviendront patrons, médecins, chefs de famille. Les filles sont femmes, puis mères. Celles qui gardent et protègent les histoires des hommes. Sinon, elles sont sorcières… donc infernales, dangereuses  !! Et quand elles apparaissent sous ces personnages-là, ce ne sont plus des humaines, mais le destin qui se met en marche.

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L’ordre est celui des hommes, des cousins, des frères ; ceux que l’on voit dehors, qui agissent, qui parlent, qui « parcourent ». Ceux dont dépend la vie des femmes…. «  On ne bouscule jamais les femmes. On leur fait comprendre les choses simplement, avec des regards qui veulent dire : « le silence ou le sang ». ». Et, dans l’imaginaire,  le chaos est amené, de très loin, par la malédiction des filles perdues, des âmes seules, de celles qui sont parties.

Un roman épique et initiatique

Pourtant, à la fin, ce sont les hommes qui décideront de la violence.

Alors nous croiserons, verrons vivre et agir, tuer et souffrir, Rémi, Christophe, leurs frères, cousins, voisins et amis. Ce roman nous dépose, entrecoupées, les vicissitudes de leur vie, leurs communions, leurs séparations et les affres des retrouvailles. Ils sont les éléments, conjoints, croisés, mais les éléments liés d’une histoire commune : celle du devenir d’un monde : Que devient la Corse quand on regarde de près, dans leur cœur et leur âme, celles et ceux qu’elle a marquées ?

«  Se souvenir… Se souvenir des fougères. De l’appel sourd du maquis. Blessé, mélancolique et fier »

Chronique parfois violente, souvent douce-amère, de ces destinées et de ce devenir, « Frères soleil » peut se lire comme un poème à une île cachée, sous les histoires de morts tragiques qui vont tout emporter, de sorcières « intouchables », de malédictions sans âge.

Roman épique et initiatique, peut-être ce roman est-il aussi une méditation douloureuse sur une Corse terrifiante et adorée, sur la sulfureuse permanence des nuages dans le lieu icônique de « la mer allée avec le soleil ».

Cécilia Castelli, Frères soleil, Paris, Éditions le Passage, parution le 20 août 2020

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