Incontestablement l’un des ouvrages les plus remarqués de cette rentrée littéraire, Les funambules de Mohammed Aissaoui évoque l’amour et la générosité, mais aussi la complexité d’une identité duale.

Par : Marie- France Bereni-Canazzi

Le titre suggère une réflexion sur ceux qui prennent des risques. Ceux qui sur un fil tendu au-dessus de tout ; pour la gloire, pour se dépasser, se lancent des défis qui feraient frémir l’individu serein, le normal. Véritable gageure, marcher sur une corde, être un funambule ; c’est dépasser les lois de l’apesanteur, son vertige, la peur de la mort. Les uns traversent les chutes du Niagara. D’autres revisitent le ciel des grandes villes et leur exploit quand ils y parviennent, spectaculaire, peut sembler vain. Qu’est-ce qui les fait tenir debout et avancer ? Qu’est-ce qui leur  évite la chute ?

C’est avant tout une histoire de position, de recherche d’équivalence des forces et de répartition dans l’air ; mais il faut compter aussi sur l’instabilité de la corde sur laquelle on évolue…

Mohammed Aissaoui utilise cette idée de mesure et d’équilibre si difficiles à trouver et à conserver. Que cela tienne à soi ou aux autres, pour parler de ceux, nombreux qui ont une fêlure à gérer. Vont-ils la laisser devenir faille et tomber, tenter de réparer, ou vivre avec, comme ils peuvent.

L’enfance de Kateb

Mohammed Aissaoui fait parler un homme encore jeune, Kateb, qui se souvient de son enfance dans un pays d’Afrique du nord. De l’amour reçu dans son enfance, de sa mère si présente et tendre. Du soleil, de la rivière, de l’arbre et des jeux. Il minimise ce qui est très sensible. La misère de leur existence, les privations car il ne les a pas ressenties ; jouant, somme toute, heureux dans le cocon de l’enfance.  Sa mère fera tout pour qu’il n’en souffre pas et n’en ait jamais honte. Elle porte fièrement leur union, leur force.

Arrivé en France à 9 ans. Celui qui dit je et se livre, apprend à écouter et à comprendre en lisant. Lui dont la maman ne savait pas parler la langue du pays d’accueil a tout acquis pour eux deux. Diplôme après diplôme, il est devenu ce dont elle rêvait ; un homme qui a un bureau, en fait un écrivain biographe. Les auteurs l’ont formé, avec l’école à laquelle il rend hommage, et il a trouvé sa voie. Pas de sentiment d’exil, pas de regrets … Le narrateur aime Camus, ce qu’il dit de la vie et de l’homme. Il en fait un guide, lui dont le père a déserté il y a si longtemps.

Les morts de la rue

Il se rend dans le cadre de sa profession chez ceux qui sont accueillis et aidés par Les restos du cœur, ATD Quart monde, Les petits frères des pauvres, Les morts de la rue… pour recueillir les témoignages de ceux qui ont besoin de parler. Il doit écrire pour eux. Il est leur biographe et parfois c’est difficile. Ne pas être dans une trop grande empathie, et respecter leur parole sans s’apitoyer. Sa vie personnelle est assez simple, sa mère est usée, en Epad. Il est seul et fréquente quelques personnages hauts en couleur, comme le philosophe qui squatte dans un bar, au Longchamp. Qui, à nouveau, revisite l’œuvre de Rousseau, s’interrogeant inlassablement sur liberté individuelle et société et Bizness. L’ami débrouillard, qui depuis l’adolescence le fréquente, le force à bouger.

Il note, regarde et c’est pour le lecteur une plongée dans un monde de funambules. Justement, sauf que là, personne n’a choisi d’éprouver son équilibre. C’est la vie qui les met au bord du gouffre et ils doivent résister. Il y a aussi ceux qui aident, qui gèrent, qui organisent. Ceux qui semblent avoir surmonté leur fêlure  car par ce roman et les récits de vie contenus, on acquiert l’idée qu’aucun de nous ne peut se dire « je ne tomberai pas si bas, je suis fort ».

Dans ce livre il est question de récits de vie, de réceptions de ces histoires personnelles et le mot est au centre de tout. « Les mots ont leur importance », ce qu’on oublie trop souvent. Mohammed Aissaoui fait avec justesse, entendre des voix qui disent, expliquent, tentent de comprendre, de réagir, avec leurs paroles ou avec leurs silences.

Retrouver Nadia

Ce beau roman est construit de façon originale. Faisant alterner les considérations actuelles et les souvenirs, en des chapitres qui dès le titre annoncent s’ils sont consacrés à une personne ou à une institution ou une réflexion : « L’écriture est la vie, Bizness, Moussa et le dernier train, J’apprendrai à quel point l’homme est insondable, Les paroles malheureuses, Ces gens-là, Max, J’envie ceux qui savent où ils seront enterrés »… On revoit avec lui Lora, on dessine Leila et les autres.

L’objet de la quête du narrateur, c’est Nadia. Encore un personnage féminin associé à une œuvre littéraire.  « Aujourd’hui, il m’arrive ce que je trouvais pathétique chez les autres. Rien ne m’importe plus que de retrouver Nadia. Cette fille que je n’ai pas su aimer. »

À lire aussi : Le pays des autres de Leïla Slimani

Nadia femme rencontrée pendant la période des études, à 18 ans, à qui il n’a pas osé dire vraiment son attirance, qu’il a côtoyée sans agir et qui est loin aujourd’hui. Il a appris qu’elle travaille dans le social, et ses visites aux «cabossés de la vie » sont motivées aussi par le désir de la retrouver. On marche sur les traces de Nadia. La reverra-t-il ? À lire pour savoir si une telle quête peut être satisfaite.


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