La nouvelle souffre d’un manque de clarté, les critiques butent sur le genre et ne parviennent pas toujours à tomber d’accord sur une définition. Un bref historique du genre permet de cerner l’origine de ces hésitations.
Par : Catherine Vincensini
Entre 1456 et 1467 apparaît le premier recueil de nouvelles françaises : Les Cent nouvelles nouvelles, ouvrage aux auteurs anonymes qui imite les novelle italiennes. La nouvelle rappelle alors le fabliau par le tour oral attribué au récit qui doit être plaisant. Les auteurs obéissent à deux principes narratifs : la rapidité dans le déroulement, le resserrement dans l’exposition.
Au cours des années 1500 des œuvres majeures sont publiées : Le Grand Parangon des nouvelles nouvelles de Nicolas de Troyes (1535) et l’Heptaméron de Marguerite de Navarre (1558). Proposer une suite de récits divertissants est le but de ces écrits. Toutefois Marguerite de Navarre introduit plus de subtilité dans ses personnages et une approche psychologique notable.
Après s’être mis à l’école des Italiens pendant deux siècles, les nouvellistes français découvrent l’exemple des recueils espagnols, dont ceux de Cervantès, qui rencontrent un grand succès. La nouvelle est alors toutefois considérée comme une forme narrative secondaire par rapport à l’œuvre longue.
Dans l’ombre du roman
À partir du XVIIIe siècle, la nouvelle s’installe dans l’ombre du roman. On note que l’intrigue se cristallise alors autour de quelques scènes, phases clés dans le déroulement de l’action, et que son expression littéraire est recherchée. Apparaît chez certains auteurs le terme de « nouvelle-petit roman » ; la différence entre les deux genres ne consiste que dans l’étendue du récit. Au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle les nouvellistes s’acheminent vers la « nouvelle-anecdote ». La concision devient un objectif majeur dans l’expansion du récit et les écrivains témoignent d’une certaine rigueur dans sa composition. Chez Sade par exemple tout tend à un moment de l’intrigue vers une situation qui constituera le point culminant de l’action et qui la dénouera. Sade explique ainsi la démarche du nouvelliste :
« Je n’exige de toi qu’une chose, c’est de soutenir l’intérêt jusqu’à la dernière page ».
Le sens de la progression dramatique, du paroxysme, apparaît. Le terme de « nouvelle-anecdote » suggère donc bien alors l’idée d’un récit rapide, resserré.
Des maîtres du genre
Le XIXe siècle se caractérise par une extrême diversité. Des nouvelles reprennent des sujets de la tradition historique. Puis les Romantiques s’intéressent à cette forme narrative. Tous les grands romanciers ou poètes se sont emparés du genre à un moment de leur carrière. C’est le cas de Dumas, Hugo, Balzac, Vigny, Gautier, Musset, Stendhal, Sand. Ce siècle est celui des maîtres du genre. La plupart des auteurs publient d’abord leurs récits dans des revues, dans des journaux ou dans des recueils collectifs.
Les Réalistes et les Naturalistes tels que Zola, Daudet, Flaubert, Maupassant, Mirabeau vont s’essayer également au genre. Une tendance se dégage. Les écrivains emploient indifféremment le terme de conte ou de nouvelle pour un même récit, basé sur des histoires « vraies ». La confusion dans le domaine de la terminologie est peut-être liée à l’introduction d’un narrateur dans le récit. En effet, les auteurs se mettent à accorder une place importante à celui qui raconte l’histoire ; conservant et restituant le ton de ce qui est parlé, d’où l’idée de récit conté.
La clé de voûte de la narration
Dans les textes écrits à la première personne, les nouvellistes recourent à la formule d’un cadre. Chez Maupassant par exemple, l’usage de ce cadre représente la clé de voûte de la narration. Passionné par le genre, il systématise cinq modes de présentation, devenus de parfaits archétypes : soit le narrateur rapporte une aventure qu’il a vécue personnellement ; soit, à l’occasion d’une rencontre, il met l’ami au courant de son passé. Ou bien, s’adressant au lecteur, il évoque un souvenir. Ou soit, le récit revêt la forme d’une lettre, soit il raconte une aventure qu’il a entendue par ouïe dire.
Si la nouvelle au XIXe siècle se présente aussi bien sous la forme d’un récit court que sous la forme d’un récit long, certains auteurs prônent un déroulement de l’action rapide, concis, rigoureux. C’est le cas de Mérimée, Balzac, Stendhal, Daudet. La découverte par Baudelaire des recueils de Poe lui fait énoncer cette définition, primordiale à mon sens (la seule qui existe au XIXe) :
« La nouvelle a sur le roman à vastes proportions cet immense avantage que sa brièveté ajoute à l’intensité de l’effet. Cette lecture qui peut être accomplie tout d’une haleine, laisse dans l’esprit un souvenir bien plus puissant qu’une lecture brisée… L’unité d’impression, la totalité d’effet est un avantage immense qui peut donner à ce genre de composition une supériorité tout à fait particulière… »
La fantaisie sous fond de caricature
Au XXe siècle, la nouvelle ne parvient pas à trouver une véritable audience auprès des écrivains. Beaucoup la conçoivent comme l’expression d’une histoire. Toutefois certains textes exploitent des données fantastiques, dont la qualité est poétique, parfois enrichies des trouvailles du surréalisme. Exemple chez Pieyre de Mandiargues dans Soleil des loups (1951). Marcel Aymé introduit quant à lui dans ses écrits de la fantaisie sous fond de caricature. Une autre tendance se détache qui puise ses sujets dans l’existence quotidienne dont l’intense valeur dramatique est tirée. La « nouvelle-instant » a ses adeptes. Les auteurs y ramènent le sujet à l’évocation d’un instant précis d’une vie. Le moment peut être aussi restreint qu’un jour, une soirée, une nuit. Marcel Arland, écrivain qui collabora à la Nouvelle Revue Française, déclare :
« C’est le triomphe de la nouvelle que de sembler n’être faite de rien, sinon d’un instant, d’un geste, d’une lueur qu’elle isole, dégage et révèle, qu’elle emplit de sens et de pathétique ».
En ce XXe siècle une constante se dégage : la nouvelle se présente comme une œuvre brève. Concentration dans les faits, resserrement dans l’exposition, rapidité dans le déroulement en font une forme distincte du roman.
Aujourd’hui il existe un grand nombre de concours de nouvelles, dont celui de Musa nostra. André Breton déclarait au XXe siècle :
« C’est là selon moi un genre périmé, et l’on sait que j’en juge non selon la mode. Aujourd’hui, pour compter écrire ou désirer lire une nouvelle, il faut être un bien pauvre diable ».
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De nos jours des revues consacrées au genre n’hésitent pas à publier des nouvelles, à défendre et à promouvoir le genre ; c’est le cas des revues Brèves ou L’Encrier renversé. Il est vrai toutefois que l’édition de recueils de nouvelles apparaît souvent après l’édition de romans, sans doute parce que la reconnaissance de l’auteur en permet une vente plus assurée. Notons que les Suisses, les Québécois, et les Belges ont toujours été des lecteurs assidus de nouvelles. Je constate pour ma part que des grands écrivains contemporains n’y renoncent pas, c’est le cas par exemple de Haruki Murakami (Cf. Saules aveugles, femme endormie, 10/18, recueil de 23 nouvelles).
De l’application et de la spontanéité
En conclusion, qu’on ne s’y méprenne, la nouvelle est un art difficile. Elle requiert une composition rigoureuse, rien ne doit être laissé au hasard : pas de digressions, ni de longueurs ; et pas de dispersion d’intérêt. Elle va droit au but. Elle n’est ni l’ébauche ni le résumé d’un roman. Son écriture doit respecter des contraintes, elle doit obéir à une technique qui exige de l’application mais aussi de la spontanéité. Pour ma part, je la pratique comme un passionnant exercice d’écriture, et me plais à inventer de ces instants qui mettent en lumière des personnages somme toute communs et hors du commun, de même que chaque individu existe dans sa singularité profonde.
Marcel Arland déclare (La Nouvelle) :
« …avec des longueurs, des incohérences, un roman peut rester une œuvre admirable. Dans une nouvelle, une altération de la voix, un gauchissement de l’allure, un trait trop appuyé, une image trop vive ou trop gracieuse peuvent tout détruire ; la nouvelle ne pardonne pas ».
Ce risque me séduit infiniment…
Biblio
René Godenne, enseignant, chercheur Belge, spécialiste de la nouvelle, considéré comme un historien du genre, La nouvelle française, éditions PUF, 1974.
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