Napoléon, mais aussi le cardinal de Bernis ou le comte de Morny. Dans Les aventuriers du pouvoir, Jean-Marie Rouart s’essaie avec succès au genre biographique, qu’il mâtine de fiction. Une œuvre pleine de finesse et d’élégance.
Par : Marie-Hélène Ferrandini
De tous temps l’histoire et le roman ont joué à s’entrelacer de mille façons. Romans historiques, histoires romancées, mémoires sont des genres hybrides où la fiction flirte avec le souci du vrai ! Quel fil choisir en effet ? Le fil d’Ariane ou plutôt de Clio qui nous mène avec sûreté à une prétendue vérité, ou le fil chatoyant, souple et bigarré de la fiction ? Jean-Marie Rouart ne s’embarrasse pas de ces atermoiements stériles. Hardiment, il crée un genre dont la collection « Bouquins » nous révèle aujourd’hui toutes les facettes. Les Aventuriers du pouvoir réunit trois biographies : Napoléon ou la destinée, Bernis le cardinal des plaisirs, Morny un voluptueux au pouvoir ; et toute une série d’articles, portraits d’hommes politiques contemporains.
Les essais biographiques centrées sur la prestigieuse figure de Napoléon et sur des figures historiques moins illustres mais très complexes et séduisantes, Bernis et Morny, sont de purs régals de lecture ! Ils sont portés par une liberté, une joie qui infusent chaque page d’une allégresse communicative. Étrangement, c’est dans un genre corseté, comme la biographie, que Jean Marie Rouart trouve une totale aisance d’écriture. Mais aussi une audace de création et une ampleur de vision ! Il exulte, jubile, brosse de fins portraits, jette des couleurs vives sur d’amples fresques. Il se permet tous les tons, jongle avec les idées, court dans sa narration ou s’arrête pour des pauses analytiques. D’un revers de main, il balaie carcan et contrainte pour n’obéir qu’à un impératif : faire de chaque héros de l’Histoire un être de chair, d’esprit et de sang qui a l’épaisseur de la vie retrouvée !
Des portraits tout en nuance
Cela nous vaut des portraits tout en nuance, cernés de mystère, séduisants par les ombres qui les envahissent petit à petit ; car rien n’est plus éloigné de l’esprit de Rouart que de faire tout passer au crible d’un examen clinique. Sa force est de faire coexister l’envie de comprendre, donc d’expliquer, et le désir de préserver la part d’incohérence ou de fatalité inhérente aux grands hommes. Par conséquent, ses héros sont des Hernani et chacun est une « force qui va » ; avec génie chez Napoléon, avec intelligence et élégance chez Bernis, avec volupté et sens du jeu chez Morny !
Parler des grands hommes évoqués par Rouart comme des héros est on ne peut plus complexe. Héros, ces hommes le sont par leur stature et leur destinée, comme par le traitement que l’auteur leur réserve. L’écrivain Jean-Marie Rouart est aussi le romancier de l’histoire et scrute ces sujets comme s’ils étaient sa propre création ! Oui, il est aussi leur génial démiurge et l’on retrouve chez eux d’obsédantes récurrences de l’œuvre romanesque de Rouart.
Ainsi, par exemple, l’obscure fascination pour l’échec et la mort qui accompagne Napoléon ! Ailleurs, la réminiscence littéraire est présente dans le choix même du sujet. Si Rouart s’intéresse à Morny c’est parce qu’il a inspiré à Balzac le plus élégant, intelligent et fascinant dandy de la Comédie Humaine : De Marsay. On retrouve ce principat du romanesque dans la composition même des œuvres. Napoléon ou la Destinée se structure en grandes scènes et en grandes dates selon le principe du roman dramatique balzacien.
Une œuvre juste et raffinée
Mais contrairement à Balzac, qui voyait une incompatibilité entre le métier d’écrivain et celui de journaliste, Rouart nourrit ses pages à ces deux terreaux. Il nous offre de magnifiques portraits de contemporains où l’éditorialiste trempe sa plume dans l’encre de Saint-Simon. Le portrait de De Gaulle est un morceau d’anthologie, celui de Mitterrand est d’une séduisante ambiguïté. Hollande et Macron sont cernés avec une lucide férocité. Rouart se met en scène lui même et l’œuvre devient aussi réceptacle de portraits croisés, biographie et autobiographie à la fois !
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On trouvera dans ces ouvrages d’immenses plaisirs de lecture, issus de l’alliage précieux offert par l’érudition et la sensibilité ! Sensible, Rouart a un don d’empathie ! Érudit, il sait faire resurgir avec une grande connaissance précise, des mondes engloutis, tel ce monde des salons du XVIIIe siècle, qu’il fait revivre avec tant de jubilation ! Portées par une écriture vive, inspirée, émaillée de formules qui font mouche, ces œuvres ont une justesse, une légèreté, une profondeur et une élégance rares et raffinées.
Jean-Marie Rouart, Les Aventuriers du pouvoirs, Paris, Robert Laffont, coll. Bouquins, 2019
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