La passion, la sensualité, la dépravation, la souffrance, le scandale, mais aussi la politique et l’Histoire autant de thèmes qui sont présents dans le roman de Jean-Marie Rouart La vérité sur la comtesse Berdaiev, publié aux éditions Gallimard en 2018.

Par : Janine Vittori

La vérité. Mais quelle vérité ? Celle des personnages ? Ils sont montrés dans toute leur complexité et leur vérité n’est pas facile à cerner. Ils apparaissent comme des êtres troubles qui peuvent masquer des souffrances sous des apparences de légèreté ou de rigueur.

La vérité de la justice ? Des manœuvres torves, des manipulations politiques pour qu’un dossier plutôt  « vide » éclate comme une bombe et change le cours de l’Histoire.

Une poupée russe

Maria Berdaiev est une très belle femme. D’une beauté que l’auteur compare à celle d’une vierge de Botticelli. Mais derrière cette apparence virginale et lumineuse, la véritable nature du personnage est plus obscure.

Fille d’un prince russe, mort du typhus à Gallipoli, et d’une princesse exilée en France après la Révolution de 1917, c’est une femme entretenue. Son amant, président de la Chambre des députés, Marchandeau, l’a installée dans un appartement somptueux. Elle fait illusion avec ses meubles opulents mais puisés dans les réserves du mobilier national. Son train de vie dispendieux fait de la comtesse une personnalité en vue. Mais la réalité est bien différente.

Cette femme à l’allure parfaite dissimule ses failles. Elle a fait le deuil de ses ambitions artistiques. Elle se contente d’être une pastelliste mondaine à défaut d’être une artiste de génie. 

Sa véritable blessure, celle dont elle ne guérira pas, est l’exécution au mont Valérien de son jumeau, Anton, engagé dans la Résistance.

Maria Berdaiev , telle une figurine creuse, renferme en elle plusieurs femmes. Une amoureuse déçue, une émigrée dépossédée, une dépravée prêtant son corps lors de parties fines. Rien ne lui appartient. Elle ne s’appartient pas. Pendant la guerre elle s’est offerte à un cinéaste proche des nazis pour obtenir un rôle. Elle se vend à des hommes impuissants pour maintenir son train de vie.

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Des personnages fragiles

Les personnages qui gravitent autour de la comtesse Berdaiev incarnent tous des êtres fragiles.

La princesse Oborov, mère de l’héroïne, et la Comtesse Kouraguine sont ainsi des femmes brisées par la perte de leurs fils. Elles font partie de la société des russes blancs en exil. Elles se souviennent de leur grandeur passée, d’un monde qui n’existe plus.

Éric, le personnage le plus romantique du roman, n’est ni volontaire ni courageux. Il est journaliste à Combat mais il apparaît comme un être sans envergure. Éric aime Maria mais tombe dans les bras d’une femme que son ancienne maîtresse lui présente. Il est paralysé par une vie conjugale sans éclat. Auteur d’un premier roman il n’est pas capable d’en écrire un deuxième. Il n’a aucune ressource en lui pour donner un sens à sa vie.

Les personnages créés par Rouart tentent tous d’exister mais tous se perdent. Ils ont traversé des évènements tragiques qui les ont marqués. La révolution russe, la deuxième guerre mondiale et maintenant la fin de la IVe République.

L’Histoire dans l’histoire

Jean-Marie Rouart situe son roman en 1958. De Gaulle est alors sur le point d’accéder au pouvoir. Un ancien monde s’écroule. Et tous les moyens sont bons pour précipiter cette chute. Car derrière le destin du personnage de Maria Berdaiev, c’est la réalité de la prise du pouvoir par De Gaulle qui est décrite.

rouart
Jean-Marie Rouart est membre de l’Académie française depuis 1997.

Une adolescente est arrêtée pour un vol dans un grand magasin. Ce fait-divers insignifiant dévoile l’implication de Marchandeau, de sa maîtresse et de personnages peu reluisants dans une affaire de mœurs. Marchandeau voit son ambition d’accéder à la fonction de président de la République anéantie.

Rouart, dans son roman, joue sans cesse avec Histoire et fiction. Il mêle des personnages réels à ceux de son roman. Il enrôle Anton, le frère de Maria, dans un vrai réseau de Résistance et le fait mourir au mont Valérien au côté de héros bien réels. À son Président Marchandeau, il attribue un destin qui appartient à André Le Troquer. Cette figure de la Résistance, qui voulait succéder à René Coty, et sa maîtresse, une russe blanche comme Maria, sont empêtrés dans l’affaire des « ballets roses ». Un coup fatal pour la carrière et pour la vie de cet homme politique de premier plan.

La vérité sur la comtesse Berdaiev de Rouart restitue l’atmosphère de la fin des années cinquante. L’auteur porte un regard sans concession sur un monde politique qui a recours à de viles manipulations et n’hésite pas à instrumentaliser la justice.

Les faiblesses des personnages renvoient à la déficience et à l’échec des hommes politiques impuissants de la IVe République. La Guerre a fait de certains d’entre eux des héros mais l’ombre de la Collaboration plane toujours et empoisonne la société.

Le style vif et élégant de Rouart, ses personnages tourmentés et obsédés par leur passé, font de La vérité sur la comtesse Berdaiev un roman très réussi. L’arrière-plan historique révèle une autre vérité.

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