Clara Dupont-Monod a été récompensée par trois prix littéraires pour « S’adapter », un roman qui s’ouvre sur la naissance d’un enfant handicapé, un bébé « inadapté » qui bouleverse toute une famille. Un roman lumineux, un coup de cœur.

Par : Audrey Acquaviva

Le roman S’adapter de Clara Dupont-Monod, paru aux éditions Stock, qui a reçu les prix Femina 2021 et Goncourt des lycéens 2021, est à la fois un drame familial, l’histoire d’une résilience et une exploration du handicap.
Tout commence par la naissance d’un troisième enfant au sein d’une famille cévenole. Un petit frère inadapté. Son corps ne répond pas. Tout au long du récit écrit à la troisième personne, le handicap est évoqué avec lucidité et délicatesse. Respect. Avec cet enfant qui semble étranger au monde, ses proches doivent faire face, prendre soin de lui. L’aimer. Dépasser la déflagration latente orchestrée par ce drame intime, nourrie par le quotidien, puis la découverte de l’étendue du handicap et l’inquiétude quant à son avenir. S’adapter. Et cette adaptation les révèle, les fait souffrir, les pousse à lutter. À trouver une place. À survivre à la mort prématurée de l’enfant.

Dans ce roman, Clara Dupont-Monod effleure à peine le deuil de l’enfant valide, préférant s’attarder sur la découverte pas à pas du handicap, les soins quotidiens, la curiosité malsaine de certains, le soutien indéfectible d’autres. L’abnégation. Le rapport aux autres. Ceux qui ignorent la réalité du lourd handicap. Une forme d’isolement s’opère. La honte du ressentiment. Le repli sur soi silencieux. La difficulté de trouver une place en institut. Et le soulagement d’en trouver finalement une. La sensation d’un immense vide. Et la sidération à la mort de l’enfant.

Dépasser la liminalité

Le handicap, relativement peu abordé en littérature est aussi un enjeu sociétal. Le ton peut même être dur. En filigrane, l’immense défi émerge : dépasser la liminalité pour avoir une juste et pleine place dans la société des personnes en situation de handicap.

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Dans ce roman, Clara Dupont-Monod s’intéresse particulièrement à la fratrie, à la manière dont les liens se tissent, à son importance dans la construction de sa personnalité. La fratrie apparaît comme un terreau nourricier de soi. L’autrice y consacre les trois parties de son roman : l’aîné, la cadette et le dernier (qui naît après la disparition de l’enfant). Quand les deux premiers doivent s’adapter au handicap, inventer un lien, le dernier, lui, doit grandir dans une famille qui a connu un déchirement. Il n’en sera jamais aigri, au contraire, il est de nature amicale et douce. Et lui aussi, loin de se sentir exclu, réussira à créer en lui un lien spécial avec l’enfant. En effet, celui-ci les réunit tous. La fratrie est unie. L’autrice choisit de ne pas les nommer, ce qui peut renforcer l’identification du lecteur. Ainsi le récit touche-t-il à la fois à l’universel et à l’intime.

Ce sourire qui n’atteint pas les yeux

Le prisme de la fratrie pour traiter le thème du handicap est intéressant. Certes les parents ne sont pas oubliés. Au fil des pages, le lecteur peut ressentir le désarroi silencieux de cette mère courageuse, aimante et attentionnée et capter la colère teintée de désespoir du père qui se laisse aller à la colère uniquement dans un moment solitaire ; moment que la cadette perçoit.

En effet, elle sait interpréter chez son père la contracture de la mâchoire et ce sourire qui n’atteint pas les yeux. D’ailleurs, elle partage avec lui cette colère. Bien sûr, elle lutte contre le ressentiment envers l’enfant qui lui a volé l’attention de son grand frère. Autour de ce dernier, elle gesticule. Pleine de vie, elle fait du bruit. Peine perdue, l’aîné la remarque à peine, sauf dans de trop rares fois, tant il est voué corps et âme à son petit frère qui n’a ni la chance de voir, ni de se mouvoir librement.

Un amour inconditionnel

Au départ, mu par un sentiment quasi chevaleresque que la candeur de l’enfance peut engendrer, il se consacre exclusivement à lui. Son engagement dépasse le soutien à ses parents et même à sa mission de le protéger. Il l’aime d’un amour inconditionnel. Des décennies plus tard sa cadette comprendra que son aîné aime prendre soin des défaillants et la mort de l’enfant va lui ravir une partie de son appétence vitale. Elle choisira la vie.

Ce roman aborde aussi la résilience. Les parents et les premiers de la fratrie reprennent le goût de la vie. Chacun à son rythme, chacun devant vivre avec la douleur de la perte. Et comme dans toute résilience, il y a un prix : celui de l’absence de l’enfant. Bien des années après le drame, la mère de famille se réjouira de sa progéniture.

Des êtres de papier et d’encre

La nature est très présente au fil des pages. Les personnages, êtres de papier et d’encre, semblent aussi pétris de la montagne cévenole, ses arbres, ses torrents, ses tempêtes. Elle a forgé leur caractère, ils se fondent en elle. Elle devient même le reflet de leur état d’âme. Douce et chaleureuse, cocon de quiétude, lors d’un moment heureux. En tempête pour mieux traduire un excès de colère, parfois nourri de désespoir. Par là, l’autrice renoue avec le souffle romantique quand la nature devient le reflet de leur état d’esprit. La nature peut même être perçue comme un personnage à part entière, tant sa présence est importante dans le roman. Souvent le regard se pose sur elle.
S’adapter est un roman touchant. Il dépasse le drame intime pour toucher l’universel.


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