Sélectionné pour le Goncourt, le Médicis et le Fémina, Saturne de Sarah Chiche raconte son histoire et celle de sa famille. Celle d’un père mort trop tôt et d’une fille qui s’est construite grâce à l’écriture. Un roman aussi beau que douloureux.

Par : Antoine Giudicelli 

C’est un roman qui est apparu dès septembre comme l’un des livres à ne pas manquer de cette rentrée 2020. On lui promettait bien des récompenses.

Il peut être difficile d’en parler, comme il a été difficile de le lire. Ce n’est pas qu’il n’intéresse pas, ou qu’il soit mal écrit, c’est juste qu’il est poignant.

Heureusement, le fait qu’il s’agisse d’un roman où la part d’autobiographie n’est pas revendiquée, et où aucun pacte ne vient l’assurer, facilite le cheminement dans cet imbroglio familial signé Sarah Chiche.

Sarah Chiche, découverte avec le précédent titre Les enténébrés, a probablement dit des choses d’elle-même, comme tout auteur, pourtant elle a créé une fiction.

Où les paradoxes abondent

L’incipit nous met dans la peau d’un homme encore jeune qui se meurt sur un lit d’hôpital. Il n’est plus que l’ombre de lui-même. Et sa mort, inéluctable, va laisser un terrible vide chez ceux qui l’entourent, qui l’aiment et ne s’aiment pas beaucoup. Voire se haïssent pour certains. Il ne cessera d’être là dans la suite du récit, il est celui qu’on suit en priorité avec la narratrice. On passe de la pensée de celle qui raconte et reconstitue un passé ; même des pans qu’elle n’en a pas connus, à celle qu’elle livre comme en prise directe de sa mère ou de son père, qu’elle fait parler.

Pour l’enfant qu’elle fut, son père, Harry, (celui qui au début meurt à l’hôpital), parti en catimini de façon incompréhensible, c’est sa fille. Papa va revenir et n’est pas revenu, ce qui à jamais laisse une douleur à gérer au quotidien.

La fillette vit dans un univers où les paradoxes abondent. Où on peut être riche et pauvre, belle et enlaidie. Intelligent et se conduire en idiot, aimer et se déchirer…Dire et cacher aussi, tout comme mentir. 

Ce texte est surtout l’occasion d’évoquer la passion d’Harry. Fils décevant d’une grande famille de médecins. Puis, Ève, jeune femme pauvre ; si belle, mais à vrai dire, peu soucieuse des conventions. En fait, seule et illuminée.

Un terrible tableau

Une histoire d’amour. Un goût de chair. Des larmes, et un grain de folie ; avec en toile de fond, une enfant, qui voit cela par son regard aimant et se laisse meurtrir, malgré elle, malgré eux.

C’est aussi le récit d’une rivalité entre 2 frères, une affection qui s’est muée en haine. Un ressentiment encouragé par le comportement des parents.

Le récit est terrible. Il fait penser à la formule par laquelle Jean-Jacques Rousseau commence ses Confessions, « Intus et in cute« , qui montre la souffrance infligée à soi et aux autres, dès lors qu’on va au fond des choses et que l’on veut dire au plus juste. Raconter, c’est ordonner, c’est aussi analyser.

À lire aussi : La part du fils, de Jean-Luc Coatelem

À bien des moments, au cours des pages, le lecteur a failli abandonner la lecture. Car certaines évocations sont insupportables, trop vraies, trop connues, brimades, traumatismes, on a là, un terrible tableau de ce qu’est souvent la vie. On pense à L’Incompris de Commencini et à d’autres films ou livres qui nous avaient ému. 

Une lecture que l’on termine en se demandant si on n’a pas joué le voyeur, ou si on n’a pas eu tort de se faire tant de mal, et ce qui fascine autant dans ce livre qui se lit d’un trait.


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