Jean-Pierre Girolami suit l’enquête de Marie-Jean Vinciguerra dans son « ciné-roman onirique » original, Mrs Christie prend le maquis, publié chez Albiana
Un jour brumeux de décembre 1926, Agatha Christie disparaît. Lancée à sa recherche, la police anglaise retrouve la voiture de la célèbre romancière tous phares allumés près de l’étang de Silent Pool dans le Surrey.
Maigre indice et sombre pressentiment. Où est donc passée la « lady of crime » que l’on dit très affectée par la mort de sa mère ? C’est une énigme que doivent résoudre les limiers de Scotland Yard, tant est vaste le champ des hypothèses. Accident ? Crime? Suicide ? Ou bien fugue savamment orchestrée d’une femme délaissée cherchant à regagner l’attention de son époux ? La presse britannique s’empare de l’affaire. Onze jours après, Agatha Christie est retrouvée dans un hôtel où elle était descendue sous un faux nom, semblant frappée d’amnésie. Détail qui traduit un souci de brouiller les pistes, comme dans les romans qui ont fait sa renommée.
Or, il ne s’agit pas ici d’une fiction, mais de la réalité, d’un scénario rocambolesque échafaudé par une imagination fertile. Agatha Christie n’ayant jamais donné d’explication sur sa disparition, Marie-Jean Vinciguerra a mené sa propre enquête. Pour l’auteur des «Chroniques littéraires », il n’y a aucun doute, la piste d’Agatha Christie aboutit en Corse.
C’est là, au bout du monde, que l’énigme rejoint la légende…
Comment expliquer ce « blanc » dans la biographie de l’auteur du « Crime de l’Orient-Express ? » « Devenu à mon tour détective, je cherche à percer les secrets de cet épisode de sa vie sur lequel Agatha a toujours fait silence, » indique Marie-Jean Vinciguerra. Et si Agatha Christie avait pris un billet de bateau pour la Corse sous le nom de Nancy Neele, la maîtresse de son mari, Archibald.
L’hypothèse repose sur une trouvaille. Dans le recueil « Mr Quinn voyage,» figure une nouvelle – « The world’s end » – dont l’intrigue, que le détective Harley Quinn s’emploie à démêler, se situe précisément entre Ajaccio et Coti-Chiavari. Harley Quinn ? Un avatar d’Arlequin, personnage de la commedia dell’arte, genre prisé par la romancière. Mettre bas les masques n’est-il pas le but de toute enquête? Cette clef italienne a poussé Marie-Jean Vinciguerra à mettre ses pas dans ceux de l’auteur de « Dix petits nègres.»
L’hypothèse d’un séjour d’Agatha Christie en Corse sous l’identité de Nancy Neele hante l’auteur de « La veuve de l’écrivain» depuis 1990, où il a piqué la curiosité du public en révélant l’affaire par un article dans« Kyrn ». Que s’est-il donc passé durant cette escapade incognito de la « lady of crime ? » L’idée de creuser un récit autour de la fugue d’Agatha Christie en Corse, prend corps à la faveur d’une rencontre entre Marie-Jean Vinciguerra et le cinéaste Daniel Vigne (Le retour de Martin Guerre). Envisagé au départ comme un scénario, le récit adopté sera celui d’un « ciné-roman onirique », mêlant les techniques narratives de la scénarisation à celles du roman, suscitant ainsi des ruptures de ton.
Humour anglais et âme corse. Il en résulte un récit construit comme un synopsis, différent du roman classique. Exercice délicat où il s’agit de rester fidèle à l’univers d’Agatha Christie -suspense et humour compris – tout en respectant l’âme corse des personnages – parmi lesquels un certain Santu Frangolacci gérant du Grand Hôtel – ainsi que l’atmosphère d’une époque révolue, celle des bandits de légende et de l’Art nouveau.
Morceau choisi : « Le Grand Hôtel. Veduta ajaccienne. Dimanche 5 décembre 11 heures. La baie d’Ajaccio, la place du Diamant, les parcs… l’air scintille. Décembre printanier. La rue des Anglais, caprice d’une ville ordonnée autour du souvenir du grand homme. Cottages, église anglicane. Good morning, dear friend !
« J’ai pensé qu’il fallait faire du texte littéraire le véritable enjeu du roman, » explique Marie-Jean Vinciguerra qui depuis « Bastion sous le vent » a engagé une réflexion autour du style considéré comme« un personnage à part entière. » Ainsi cette phrase posant une énigme dans l’énigme : « Mais qui raconte l’histoire d’une mystérieuse disparition sur laquelle la romancière anglaise ne s’est jamais expliquée ? » Question centrale qui renvoie au masque, au double. Agatha Christie a le sien, Harley Quinn. Ce « processus de scénarisation littéraire», selon l’expression de l’auteur, permet de combiner une action faite de plans séquences et de dialogues en style direct, avec une écriture subjective rendue par les monologues intérieurs. « Je est un autre » écrivait Rimbaud.Alors qui parle et à quel moment ? « Est-ce Agatha, son double Harley Quinn, ou encore cet auteur qui se cache sous un vrai patronyme ? » Faire d’une énigme policière un jeu littéraire, une invention romanesque, c’est prendre le parti du « mentir vrai » cher à Aragon. Un défi relevé par Marie-Jean Vinciguerra, romancier devenu scénariste.
La littérature devient ici instrument d’enquête chargé d’éclairer un épais mystère . Écrivain mué en détective, Marie-Jean Vinciguerra signe une oeuvre originale où brillent à la fois le style, l’imagination… et le flair.
Désormais, il appartient au cinéma de reprendre l’enquête là où la littérature l’a laissée. Au bord de l’étang de Silent Pool, ou bien au Grand Hôtel d’Ajaccio…
Jean-Pierre Girolami
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