Le souffle d’une littérature romanesque et puissante secoue la rentrée littéraire. Buveurs de vent de Frank Bouysse vient de paraître chez Albin Michel.
Par : Janine Vittori
Et au commencement…
Le prologue de Buveurs de vent ouvre le roman sur un récit des origines. Un mythe qui nous fait entrer dans la fiction. Et tout de suite Le Gour Noir et le temps qui s’arrête un instant sur « le cadran liquide de la rivière ». La rivière, comme une eau primordiale, déjà corrompue par le cadavre d’un homme à la gorge tranchée. Mais la rivière « lave » ; elle saura, peut-être, sauver et renouveler le monde.
Franck Bouysse crée un monde comme il lui plaît. Dans un cadre temporel indéterminé il délimite l’espace réduit d’une vallée. Un viaduc avec son « arche monumentale », la rivière, le barrage et la centrale électrique, la maison des Volny et plus loin la ville.
Les quatre enfants de la famille Volny s’inscrivent dans une lignée, celle de Martha, leur mère. Éprise de Dieu elle a donné à ses quatre enfants les prénoms des évangélistes.
Luc, garçon un peu simple, a été rejeté par l’école qui ne peut « rien faire pour lui ». Pourtant il n’est pas idiot ; il sait regarder et écouter. C’est un être aux aguets qui ne se laisse pas soumettre par la réalité.
Matthieu voue un culte à la rivière. Tous les matins il relève ses lignes et remonte les poissons. Sa pêche est une magie nourricière et poétique.
Marc, malgré l’interdiction de son père, est un lecteur avide. Il a toujours un livre dans la poche intérieure de sa veste, L’Odyssée ou un autre…
Et puis il y a Mabel. Son véritable prénom est Jean. Mais sa beauté est un tel miracle que tout le monde l’appelle Mabel, ma belle.
C’est Mabel qui a l’idée d’aller se suspendre au viaduc à l’aide de cordes. L’incroyable quatuor, solidement accroché au pont, vibre de concert au passage d’un train, exécute ses mouvements dans l’air et défie les oiseaux dans leur séjour aérien.
Dans la vie des enfants le grand-père, Élie, occupe une place importante. C’est lui qui, tel le prophète, saura empêcher la sécheresse des cœurs et faire revenir la paix dans la famille. Élie est veuf. Lina, sa femme disparue, « racontait aux enfants qu’une araignée gigantesque vivait à l’intérieur de la centrale électrique ».
L’araignée
La centrale électrique dévore les hommes de la vallée. Ils sont promis dès leur naissance à repaître ce monstre puissant. À obéir à son maître, Joyce, qui possède la ville entière, la centrale, le barrage et les carrières. Tout est à lui et ses sbires épient, contrôlent, humilient, briment, matent.
Bouysse crée toute une galerie de personnages malfaisants dont les noms suffisent à donner des frissons. Snake et Double, duo infernal, froid comme le serpent et gonflé de venin. Renoir et Salles, Lynch, personnages maléfiques, plus noirs et sales les uns que les autres.
Mais l’auteur dresse un rempart contre l’effroi. Les déshérités auxquels rien n’appartient se lèvent, se soulèvent. Mabel, la première, affronte sa famille et résiste aux séides de Joyce. Bientôt elle ne sera plus la seule.
À la noirceur de Joyce, le tyran, Bouysse oppose des personnages lumineux, nourris par le souffle puissant de la littérature. Et le doux Luc se transforme en Jim Hawkins. Elie, grand père unijambiste, se transfigure en « pirate à la jambe coupée ». Le pouvoir des mots de Stevenson, entendus à la radio par Luc, changent la vallée en Île au trésor.
Les références littéraires
La littérature verse sa manne sur le roman de Franck Bouysse. Les références littéraires sont multiples et le lecteur se réjouira de retrouver dans les nouveaux Gobbo et Lynch, dans l’autre bar de L’Amiral une nourriture intellectuelle connue.
Mais l’auteur fait surtout entendre sa propre voix. L’histoire qu’il raconte est bouleversante et le roman produit un sentiment d’envoûtement. Buveurs de vent est un véritable livre d’aventure ; l’histoire roule comme les eaux bondissantes de la rivière.
L’écriture de Bouysse adopte la vitalité et la force surnaturelle de la rivière. L’éditeur décrit le style de l’auteur comme « une poésie tellurique », « une langue incandescente ». Les mots, les images, en effet, jaillissent comme des étincelles.
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Le roman fascine. Il décrit un monde hostile où survivre est périlleux. Dès les premières pages il est certain que dans le décor somptueux de la rivière, royaume des enfants Volny, il ne pourra se passer qu’une tragédie. Pourtant Bouysse transcrit ce monde de violence en images sensuelles. L’ouïe, la vue, le toucher. Sentir, comme le fait Luc, un criquet « chatouiller sa paume et les mandibules pincer sa peau ». Voir du bord de la rivière que « le soleil frappait des pièces d’argent qui se déversaient à la surface et s’enterraient ensuite au fond de l’eau ». Entendre la tempête à la nuit tombée « gueule béante » souffler « une haleine sableuse, sans odeur ni goût ». Le langage poétique de Bouysse, avec ses métaphores si neuves, révèle l’extraordinaire beauté de la nature.
La puissance de son écriture bâtit un barrage contre l’abîme. Contre la fin.
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