Noël Pinelli, député puis ministre de la Marine marchande du régime de Vichy, fut également un homme de lettres, passionné d’histoire corse. Une figure ambiguë, sur laquelle il convient de s’attarder.

Par : Jean-Dominique Beretti 

Dans l’Entre-deux-guerres de nombreux Corses ont participé à la vie politique nationale. On cite souvent des personnalités comme François Pietri. Moins connu, mais chargé de responsabilités importantes au niveau de l’État, Noël Pinelli ( 31 Mai 1881, Clermont-Ferrand – 6 Février 1970, Paris) a été le témoin et l’acteur d’évènements marquants depuis la Guerre de 14 jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mais il était aussi un homme de lettres.

Un parcours brillant

Noël Pinelli est né le 31 Mai 1881 à Clermont-Ferrand. La famille de son père était originaire du village de Poggiolo en Corse-du-Sud dans le canton de « Sorru insù ». Il fait ses études au collège Fesch puis à la Faculté de droit d’Aix-en-Provence. En 1900, il devint avocat à Ajaccio, ville où il a fait ses études secondaires.

Il fut commissaire en chef de la Marine de 1901 à 1924. Pendant la Première Guerre mondiale son engagement notamment aux Dardanelles et en Angleterre lui valut de nombreuses citations : « Rappelé au service actif dès le deux août 1914. Il est aux Dardanelles en 1915 puis à Salonique pour y préparer le débarquement du corps expéditionnaire de Macédoine. Appelé en 1917 au ministère de la Marine, il est envoyé à Londres en mission auprès de l’Amirauté britannique. Au début de 1918, alors que la guerre sous-marine bat son plein, il reçoit la lourde charge du ravitaillement général de la flotte et de l’aéronautique maritime en essence ».

Conseiller municipal à Paris

Il joua un rôle politique surtout dans l’Entre-deux-guerres, alors que l’Europe connaissait de grandes transformations politiques, notamment la mise en place de régimes autoritaires.

Son activité est riche au sein du conseil municipal de Paris à partir de 1929. M. Louis Delsol, alors conseiller municipal du quartier du petit Montrouge, ayant été élu député, abandonna son siège municipal, de fait, M.Pinelli fut choisi pour le remplacer. De 1929 à 1935 il s’active dans de nombreux domaines, l’éclairage, les écoles publiques… À ce titre, « il a veillé à ce que le respect des libertés ne soit pas théorique, ni leur exercice un vain mot. Et mis soin à ce qu’aucun acte de sectarisme ne vienne s’attaquer au principe de fraternité tolérante (…) », est-il précisé dans la profession de foi du candidat aux élections municipales de 1935 pour le quartier du petit-Montrouge.

Un contexte agité

En 1934, la France connaît une grave crise politique. Lors de la manifestation du 6 février 1934, il défile avec les conseillers municipaux. Ce jour-là, des associations d’anciens combattants et des ligues manifestent à Paris avec des revendications comme : « assez de scandales », ou encore « à bas les voleurs ».

La France connaît une succession de gouvernements entre 1929 et 1936, qui ne durent pas plus de trois mois. À l’extrême droite, on dénonce l’incompétence du régime et la multiplication des scandales politico-financiers. L’affaire Stavisky provoque une violente campagne anti-parlementaire. L’historien Serge Berstein analyse l’action des conseillers municipaux  :

« L’intention politique du cortège des conseillers municipaux est donc évidente même si les objectifs précis ne sont pas les mêmes pour tous les participants. Il s’agit d’exercer une pression sur les députés au minimum pour amener le gouvernement à démissionner… Daladier pour sa part niera devant la commission d’enquête que les conseillers municipaux aient tenté d’exercer sur lui une quelconque pression pour l’amener à démissionner… La commission d’enquête retiendra dans ses conclusions que tel était bien l’objectif des élus parisiens… »

Les « sœurs latines »

Mais l’action de Noël Pinelli dépasse le cadre français. Lors de l’inauguration d’un monument aux morts, élevé à la mémoire des garibaldiens de l’Argonne et des volontaires italiens de l’armée française morts pour la France, il prononça deux discours. Dans un premier discours, il s’adresse au maréchal Pétain. Il cite ensuite Gabriele d’Annunzio, parle de Mussolini et évoque Garibaldi. Il cite également l’écrivain Ricciotto Canudo , puis évoque une civilisation méditerranéenne. Enfin, il évoque  la carrière politique en France de Garibaldi une « amitié merveilleuse ». Ainsi que le petit-fils du héros, Ezio Garibaldi. Dans un deuxième discours, Il insiste avec d’autres personnalités sur le rapprochement entre les deux nations. Italie et France sont des « sœurs latines » précise-t-il. Il parle de « deux rameaux de la même famille ». 

Cet événement en mai 1934 donna lieu à des manifestations importantes. Il s’agissait non seulement de célébrer l’amitié franco-italienne mais aussi une « alliance latine contre des prétentions hégémoniques germaniques dangereuses ». Notons qu’à partir de 1935-1936, l’Italie fasciste se rapproche de l’Allemagne hitlérienne… Déjà en 1932, Noël Pinelli fait donner à une rue le nom du poète italien, lors de la célébration du centenaire de l’Arioste. Le rapprochement franco-italien semblait une nécessité.

Noël Pinelli député

Noël Pinelli fut aussi député de la Seine de 1936 à 1942. Il succéda à André Grisoni. Il faisait partie du groupe des indépendants républicains et intervint dans les discussions sur la semaine de quarante heures (juin 1936). Mais aussi sur le programme de grands travaux destiné à fournir des emplois en juillet 1936.

Il est nommé sous-secrétaire d’État à la Marine marchande dans le cabinet Paul Reynaud du 21 mars 1940 jusqu’au 10 mai. Les rapports avec le régime de Vichy furent étroits et méritent qu’on s’y arrête.

Il vota la loi constitutionnelle du 10 Juillet 1940. Il s’en explique d’ailleurs lors du procès du Maréchal Pétain : « Pas une seconde je n’ai le sentiment qu’on voulait faire un coup d’État contre la République ». Et décrit le contexte du vote en citant des personnalités importantes comme Édouard Herriot. Ce dernier, président du parti radical, avait été élu président de la chambre en 1936. Il exerça en fait, une très grande influence dans les dernières années de la IIIe République.

Si le 9 Juillet 1940, à la séance de la Chambre, il conseilla le ralliement au maréchal Pétain, il manifesta à l’égard du nouveau régime une réserve croissante qui provoqua sa mise en résidence surveillée. Plus tard, il fut déporté en Allemagne.

Il faisait partie des membres du Conseil national de Vichy qui fut une assemblée instituée par le maréchal Pétain le 24 janvier 1941 qui les avait nommés et choisis. Le chef de l’État devait leur demander leur avis sur un problème précis de leur compétence. Il était évidemment composé de sympathisants du régime. Ils constituaient les cadres politiques de l’État français.

Le procès Pétain

À l’audience du 6 Août 1945, lors du procès du maréchal Pétain, a lieu la déposition de Noël Pinelli. De nombreuses personnes ayant connu Pétain donnent des éléments d’explication de l’action politique et militaire du maréchal. Pour sa part le témoignage de Noël porte sur les rapports avec l’Angleterre, les conditions maritimes de l’armistice. À ce titre, les contacts qu’il a eus avec l’amiral Auphan éclairent l’ambiance de l’époque : que deviendrait la flotte ? … Est aussi évoquée, l’Assemblée du 10 Juillet 1940. Son analyse critique vis-à-vis de Vichy porte notamment le fait pour le régime de ne « pas faire appel aux hommes publics ». Globalement, il précise qu’il n’a jamais été favorable à la politique suivie par Vichy. Et pointe du doigt l’entourage du maréchal Pétain c’est à dire les « hommes publics qu’on lui a imposés , qu’il n’a pas choisis, qu’il a subis… »

La personnalité du maréchal Pétain semble l’avoir marqué. Après la guerre, il est mentionné comme faisant partie du Parti socialiste démocratique. Groupement créé au lendemain de la libération par les parlementaires et les militants de la SFIO, épurés en 1944-1945 en raison de leur fidélité au maréchal Pétain. Ce parti opposé à la constitution proposée en 1946 était fortement marqué par la personnalité de Paul Faure. Directeur de La République libre, journal auquel collabora Noël Pinelli.

Mentionnons aussi l’Association pour défendre la mémoire du Maréchal Pétain, « créée après la mort du vainqueur de Verdun ». Dont l’un des objectifs était entre autres la révision du procès de 1945. Noël Pinelli y est cité, à côté de personnalités comme Maître Isorni. Rappelons qu’après la guerre, les débats sur l’amnistie des condamnations prononcées à la libération entraînent des tensions politiques importantes. En 1950, le général de Gaulle reprochait à la IVe République le maintien en détention du maréchal Pétain. Le transfert des cendres du maréchal Pétain à l’ossuaire de Douaumont était aussi une revendication des défenseurs de la mémoire du vainqueur de Verdun.

Un intellectuel et un lettré

Perçu comme un homme politique engagé, Noël Pinelli est aussi un intellectuel et un lettré ; héritier de l’abbé Jean-Antoine Pinelli, personnalité politique forte à l’époque révolutionnaire. De nombreux ouvrages ayant trait à la Corse composaient sa bibliothèque. C’est dans la maison familiale datant du XVIIe siècle de Poggiolo, qu’étaient rassemblés les ouvrages de son ancêtre. Il a participé après la guerre à de nombreuses revues et productions concernant l’histoire de la Corse. Et notamment la Revue de la Corse publiée à Paris sous la direction du professeur Ambrosi.

À lire aussi : Le Républicanisme corse

On retiendra sa collaboration aux Cahiers d’Histoire et de Documentation corses dont il fit partie du comité de lecture. Ces articles étaient publiés par le Groupe d’études corses historiques et scientifiques au début des années 50, dont le siège était à Paris et qu’il contribua à fonder avec des personnalités importantes comme le colonel Fontana. 

L’hommage au patriotisme de Fontana

Le colonel Fontana originaire de Vico, donc de la même région que Noël Pinelli était président du Groupe parisien d’études corses. C’est une même volonté qui anima les deux hommes. Noël Pinelli lui a rendu hommage en précisant bien qu’il était à l’origine du « Groupe parisien d’études corses » et qu’il a fait un travail considérable : « Jusqu’au dernier moment il s’est penché sur nos travaux, il les a dirigés avec le dévouement le plus total et le sentiment parfait de ce qu’une petite association naissante, si elle veut durer et produire, peut se permettre de faire ou doit avoir, au contraire, la prudence de ne pas faire. Quelques semaines avant sa mort il présidait encore une de nos conférences. »

La ligne de conduite est clairement affichée. C’est une véritable passion pour l’histoire de la Corse qui est mise en avant. Dans une introduction à un article Noël Pinelli présente la recherche historique comme une passion :

« Si nous ne méconnaissons pas le plaisir, la satisfaction que cause toujours le rappel précis, et aussi vivant qu’il est possible, d’un passé historique, il se joint dans nos travaux comme la recherche d’un épanouissement sans cesse renouvelé pour le sentiment profond et poignant qui nous rattache tout à la fois à notre petite et à notre grande patrie. Se pencher sur l’histoire de la Corse c’est pour nous, faire un acte d’amour ; c’est cultiver en profondeur une passion ardente et noble »

Cette passion pour l’Histoire de Corse l’a mené à rédiger des articles de fond dans lequel transparaît un travail de lecture et d’analyse d’auteurs de premier plan. La publication de documents inédits est aussi un de ses objectifs.

Une admiration pour l’Italie

Collectionneur de cartes de Corse du XVIIIe siècle et amateur d’art, il voua une passion importante pour l’Italie ; comme nous l’avons évoqué plus haut où il fit de nombreux voyages et dont il ramena une trentaine de carnets de voyage. Sur une période qui va de 1955 à 1961 il note avec précision ses impressions de voyage. Son intelligence éclectique et son exigence de précision donnent un éclairage sur tous les évènements qui touchent de près et de loin non seulement l’Italie, mais aussi les relations internationales. L’élection du Pape Jean XXII, les évènements d’Algérie, jalonnent la description des monuments de Rome et de Gênes. Chaque paysage ou chaque rue sont mis dans une perspective historique et géographique. Il faut y ajouter une véritable passion pour la littérature italienne notamment Pirandello, Fogazzaro…

On lui prêta une passion pour l’écrivain Marcelle Tinayre à laquelle il a consacré une correspondance importante.  


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