Par Isabelle Rachel Casta

Professeur des Universités, Textes et Cultures, UR 4028

Lorsqu’en 1825 Lebègue d’Auteuil traduit, sous les yeux mêmes de l’auteur Washington Irving – qui réside cette année-là à Paris – ses Tales of a Traveller (Contes d’un voyageur) dont l’un s’intitule « The Adventure of the German Student » (« L’Aventure de l’étudiant allemand »), il ne sait sans doute pas à quel point il lance, avec son histoire Corse, dans le monde un curieux objet littéraire qui, de passation en fascination, ne cessera d’être réécrit par les amoureux d’une belle guillotinée.


Ainsi en 1924, Gaston Leroux, grand admirateur de Dumas et de Mérimée, propose la quatrième version de La Femme au collier de velours dans un corpus de six nouvelles, rassemblées sous le titre d’Histoires épouvantables. Celle ci se passe en Corse, près de Bonifacio, vers 1890, et n’a que très peu à voir avec l’illustre modèle.

Couverture du livre de Gaston Leroux - Histoires épouvantables
Couverture du livre de Gaston Leroux – Histoires épouvantables

La Corse motif littéraire

 Ce n’est ni la première, ni la dernière fois que la Corse joue le rôle d’accélérateur tragique, ou de révélateur, des vindictes particulières ou des passions débridées ; en témoignent Les Frères corses (1844) de Dumas, Les Faux Monnayeurs (1925) d’André Gide, Les Agriates (1950) de Pierre Benoit, mais aussi Une vendetta(1883) et La Main (1883) de Guy de Maupassant, et trois contes d’Alphonse Daudet, L’Agonie de la Sémillante (1866), Le Phare des Sanguinaires (1869) et Les Douaniers (1873). 

Le Corse et de simples figurants

À l’époque romantique, les Corses, on le voit, ne sont nullement sujets de leur littérature, ils n’en sont que les figurants ethnicisés à outrance, par exemple chez Mérimée, dont la Colomba (1840) joue à peu près le même rôle pour la Corse que Carmen pour l’Espagne : un chromo pseudo historique, mettant en relief les traits folkloriques les plus accusés. Toile de fond aux tonalités violentes, la Corse commence une longue carrière de carte postale tragique, mais on ressent confusément le conflit – même médié par un regard étranger et « colonisateur » – entre les instances chrétiennes d’amour du prochain et de pardon des offenses et les pulsions de mort au travail dans l’invidia, la jalousie haineuse.

L’histoire d’une vengeance conjugale

Récit classique de vengeance conjugale mâtinée de vendetta réputée typiquement insulaire, voici l’histoire de La femme au collier de velours :

Angeluccia Macci, une superbe Corse, attire tous les regards dans une cérémonie officielle, et le lieutenant de vaisseau Gobert cherche à en savoir plus sur elle : « Je demanderai à la belle Angeluccia d’ôter son collier sous mes yeux. […] Elle ne l’ôtera point, monsieur, car tout le monde sait ici que si elle l’ôtait, sa tête tomberait ! » (Leroux, p. 879).

Fatal collier 

La jeune femme a en effet été « guillotinée » par Antonio, son premier mari qui, mettant à profit une reconstitution carnavalesque de la Terreur, a voulu se venger d’une infortune conjugale. La lame n’a fait que blesser l’infidèle, la forçant à porter un large collier noir. Mais l’histoire n’est pas finie : le mari qu’on croyait mort revient au village pour décapiter au couteau celle qui l’a trahi – sans bien sûr oublier de lui remettre le fatal collier :

« Je touchai son collier de velours qui se dénoua et sa tête me roula dans la main ! Je m’enfuis, les cheveux dressés. » (p. 887). 

Tragédie méditerranéenne

L’horreur est bien restée, mais plus du tout le fantastique ; l’influence de ce locus amoenus qu’est le rivage méditerranéen va s’exercer paradoxalement comme un accroissement de la potentialité tragique, comme l’adjuvant d’un processus de mise à mort qui à chaque fois est puissamment justifié par le paramètre géographique : cette terrifiante seconde histoire – encore que le terme choisi par l’auteur pour la désigner soit précisément « épouvantable », capitalise jalousie, vengeance, honneur bafoué, violence et perdition.
Sorte de Colomba au masculin, cette tragédie où flotte un discret parfum de parodie n’existe que pour et par sa « corsisation », puisque tel un accélérateur surdimensionné, la Méditerranée chauffe à blanc passions et rancœurs.

Roman du « soleil à perpétuité » (Giono), cette œuvre raconte la face noire de la lumière, et l’émergence d’un Tragique moderne.

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