par Michèle Corrotti
Notre Belle de l’étoile a frappé fort. Uppercut ! Crochet du droit ! Ou du gauche ? Indéterminable. Comment cette Saint-Pierraise, Algérienne de surcroît, Parisienne évidemment, a osé s’emparer non seulement de la Corse mais de son paysage politique ? C’est à ne pas y croire. Quoi, les derniers staliniens, les néo-natios, les historiques arpentant avec elle allègrement tous les chemins de notre pays ! De quoi perdre ses repères. Pire encore, cette géographie sociologico-politico-locale s’inscrit dans un temps vaguement indéterminé, mais au futur assurément. Incursion dans la politique fiction, genre fort prisé actuellement, version opéra space comme Le Parrain autour d’une histoire familiale digne de la tragédie grecque. Rembobinons. Nous sommes à la veille d’élections cruciales, le référendum sur l’indépendance de la Corse, et un leader nationaliste charismatique, intelligent et beau garçon s’apprête à relever les défis d’une victoire annoncée. Le pauvre, ce qui l’attend, c’est un chemin de croix.
Mais pas pour le lecteur qui lui, s’étonne, s’indigne, s’amuse de reconnaître ou pas, se passionne pour ce héros sous les pas duquel il voudrait jeter des pétales de rose quand l’auteur lui impose une couronne d’épines. Ce personnage christique et sa solitude. Ils sont avec lui, à côté de lui et devant et derrière lui, mais le soulagent bien peu. Jacques est grand. Il est le plus grand de tous, si grand qu’il doit se courber pour leur concéder une part du fardeau.
Heureux lecteur devant qui s’ouvre le roman comme un chemin de randonnée, à la découverte de la Corse. Car Nadia Galy le dit volontiers, « la Corse est une personne. Elle s’invite à votre table, pénètre votre assemblée, votre langue, votre vie et vous donne beaucoup en échange. »
La terre corse, elle est là, omniprésente. Inégale ou inéquitable même avec les morts. Il y a ceux pour qui elle se fait légère même si à l’heure du grand départ, la notoriété impose son poids de discours, de gerbes et de marbre – Le peuple est venu de Mausoleu, de Bastia, de tous les villages du Cap, de toute l’île, de tout le continent et presque du monde entier l’exalter (le Diu vi salvi Regina) d’une voix ancestrale… (Toussainte)… elle avait beau être communiste invétérée, elle n’en était pas moins d’ici et, ici, on part avec la bénédiction de la Vierge ou bien on ne part pas.- et ceux sur qui elle pèse pour enfouir, pour effacer les souvenirs et les identités comme celle du travailleur clandestin, victime d’un accident dans les vignes et enterré comme un chien, où ? Mais n’importe où, dans le maquis, c’est tout !
Cette chronique de la Corse de demain est furieusement contemporaine. Elle est servie par une langue qui chante et qui cogne, forgée patiemment, élaborée, fignolée où chaque mot doit peser son poids de chair, de sensations. Une langue de l’incarnation. Happé dès la première phrase, portant sur son dos au fur et à mesure de l’avancée du récit cette histoire d’amour, de trahison et de haine, le lecteur ne s’en sortira pas indemne. S’il connaît la Corse, il entamera in petto un dialogue animé avec l’auteur, s’il la découvre, il lui viendra peut-être la curiosité d’aller sur place se faire une idée de cette île qui défend si farouchement son identité.
Sa planche de salut avait été la Corse de son père. Il en était imprégné. Elle et lui indivis, comme chaque maison, comme la dernière des maisons du dernier lieu-dit avant la fin de la route. Comme elle, il appartenait à une foule, à trois cent mille habitants qui se chamaillaient, se bloquaient, s’empêchaient de vivre en changeant d’avis, en se contrariant, en s’invectivant et en créant, paradoxalement, le feu ardent qui les motivait et les tenait en vie, en famille. Architecte comme son héros, écrivaine telle qu’en elle-même, Corse du destin partagé comme l’eau et le pain, et peut-être Mazzera, Nadia Galy fort heureusement n’a pas écrit son dernier mot.
Les ouvrages de Nadia Galy, tous publiés chez Albin Michel
Alger, Lavoir Galant (2007) – Le cimetière de Saint Eugène (2010) –La belle de l’étoile (2014) Le cirque de la solitude (2018)
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