Arrivée le 23 octobre 2020 sur Netflix, Le Jeu de la Dame fait partie des séries les plus regardées au monde. Elle raconte le parcours de Beth Harmon, une joueuse d’échecs américaine et orpheline dans les années 50 et 60. Lorsque l’histoire commence, elle est âgée de huit ans et vient de perdre sa mère. À la fin, elle triomphe avec un titre de championne du monde obtenu à vingt-deux ans contre un grand maître international.
Par Nathalie Nadaud – Albertini
Le titre, en version française et en version originale (The Queen’s Gambit) fait référence au « gambit dame », un début de partie très populaire aux échecs. De là à y voir une métaphore de l’héroïne s’imposant dans un bastion masculin, il n’y pas qu’un pas qui se franchit aisément.
Le récit d’une émancipation féminine
En effet, l’intrigue raconte l’histoire d’une jeune femme qui s’émancipe de la condition féminine de son époque, gagne en autonomie personnelle, affective, sexuelle et financière, et devient finalement la plus meilleure dans son domaine. À cet égard, la tenue de Beth lors de la scène finale est éloquente : un long manteau blanc avec un béret assorti. Comme l’explique la costumière de la série, Gabriele Binder, à Vogue UK, ce costume montre que l’héroïne incarne désormais la dame du jeu d’échecs, la pièce plus puissante du jeu.
La symbolique est d’autant plus forte qu’elle s’est rendue par ses propres moyens au tournoi qui la voit triompher, contrairement à son prédécesseur dont le voyage et le séjour avaient été financés par la fédération d’échecs et un lobby catholique. Refusant de lire le discours que le groupe religieux lui avait préparé ou de se plier aux diverses exigences de la fédération, Beth entend mener sa carrière à sa guise sans être instrumentalisée. Car pour elle, seuls comptent les échecs. Ils sont sa passion, sa raison de vivre.
Le récit d’une femme puissante
C’est pour cette raison que la série adopte un angle bien spécifique : raconter l’histoire d’une femme puissante en insistant sur le jeu d’échecs ainsi que sur les compétences de Beth. À la lecture du résumé–une femme s’imposant dans le monde des échecs-, on aurait, en effet, pu s’attendre à d’autres formes de récit. Soit une histoire traitant le versant essentiellement personnel et affectif, avec le développement d’une romance en point d’orgue, ce qui aurait rapproché Beth du prisme du féminin traditionnel. Soit un récit plus tourné vers le fait que ce joueur si talentueux est une joueuse, avec une héroïne en butte aux oppositions et rigidités d’un milieu machiste.
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À l’origine d’une narration féministe
Le Jeu de la Dame fait un autre choix sans pour autant tourner le dos à ces thèmes. L’axe affectif et personnel est bel et bien présent. Beth a des hommes dans sa vie, mais, amis ou amants, elle entretient avec eux des relations relevant de l’amitié virile. De même, la thématique du sexisme est là mais uniquement par petites touches. Comme « les filles ne jouent pas aux échecs », la réponse que lui fait M. Shaibel, le gardien de l’orphelinat, avec qui elle apprend à jouer (E1, S1).
Sauf que Beth prouve d’emblée qu’il a tort. Plus tard lorsqu’elle commence à être reconnue, un article de presse fait son portrait en se focalisant sur le fait qu’elle est une jeune femme. Beth s’insurge : « Ça parle surtout de moi en tant que jeune fille. Ça ne devrait pas autant compter. Ils ont oublié la moitié de ce que j’ai dit. Ils n’ont pas parlé de M. Shaibel ni de ma façon de jouer la défense sicilienne ! » (E3, S1). Toute la série agit comme l’héroïne, elle ne se demande pas si une femme est capable de s’imposer dans le monde des échecs, elle agit en racontant le parcours de Beth et en insistant sur sa façon de jouer.
En cela, Le Jeu de la Dame interroge les formes que peut revêtir une narration féministe. Doit-elle insister sur le caractère féminin de l’héroïne, sur ses compétences, sur sa lutte contre le sexisme ? Autrement dit, cette série s’inscrit dans le débat sur les différents féminismes, universaliste ou différentialiste.
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Régulièrement Nathalie Nadaud-Albertini, sociologue des médias, s’intéresse à une série. Elle y décrypte la représentation des femmes.