Maître du roman américain, Russell Banks, deux fois finaliste du prix Pulitzer, livre des tranches de sa vie dans Oh, Canada publié aux éditions Actes Sud. Ce roman intime sur la mémoire et la fin de vie, explore les ultimes confessions d’un homme au seuil de la mort.
Par : Francis Beretti
Le dernier roman de Russell Banks, qui est décédé le 8 janvier 2023, des suites d’un cancer, est intitulé en français : Oh, Canada (traduit de l’américain par Pierre Furlan, éditions Actes Sud, septembre 2022).
Banks a publié une vingtaine de romans traduits dans une vingtaine de langues. Honoré par de nombreuses distinctions, il est généralement considéré comme l’un des plus grands auteurs américains contemporains.
Le récit (nous ne dirons pas l’action) se déroule à Montréal, en avril 2018. Il est centré sur Léo Fife, célèbre cinéaste documentariste, qui subit la torture d’un cancer en phase terminale. Lui qui a passé sa vie à retracer l’histoire des autres, se prête à son tour à une interview réalisée par Malcom. Plus précisément, l’un de ses anciens élèves. Les détails techniques concernant le tournage ont la précision méticuleuse d’un professionnel de l’audio-visuel. Et démontrent que Banks a travaillé à fond son sujet. Et est ainsi, parfaitement entré dans la peau de son personnage.
Une mise en page délibérée
Simplement pour donner quelques repères, soulignons trois dates marquantes dans la carrière de Fife. – 1956, date à laquelle il s’enfuit avec son copain dans l’Oldsmobile du père de ce dernier. – Puis, 1968 : il s’enfuit au Canada pour échapper à la conscription des jeunes gens destinés à combattre au Vietnam. – Enfin 2018, date à laquelle il subit le questionnement de Malcom qui n’est que modérément satisfait du déroulement de l’enregistrement. En effet, Fife a une idée fixe ; dire toute la vérité à sa femme Emma, dont il exige la présence constante à ses côtés. Mû par un sentiment de culpabilité, il veut qu’Emma sache enfin, à quel type d’homme elle a eu à faire.
D’ailleurs, une première lecture superficielle, nous porterait à penser que l’éditeur a fait preuve de négligence dans la composition. Puisqu’il n’y a pas de poses entre les différentes époques, et que les signes typographiques ; comme les guillemets, par exemple, qui devraient encadrer une citation, ne sont pas indiqués. Ce serait notamment une grossière erreur. En somme, cette mise en page est délibérée. Et elle est, tout-à-fait pertinente ici, car Fife
« se laisse porter par les eaux mouvantes de son passé »
En réalité, il est bien conscient que
« son avenir est nul, tandis que son présent et son passé se sont réunis et ont fusionné ».
Matériaux historiques et éléments semi-autobiographiques
À juste titre, Fife est imprégné par la culture littéraire, artistique et cinématographique de son époque. On the Road, de Jack Kerouac ; l’idole de la « Beat Generation », avec Lawrence Ferlinghetti , Allen Ginsberg, Joan Baez et Bob Dylan. Il se souvient de la séquence d’un film où Alan Ladd verse du whisky dans deux verres. Sans doute à l’intention d’une femme fatale comme Veronica Lake. Il se voit comme un solitaire, comme James Dean dans Géant.
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Si l’on veut mieux comprendre Oh, Canada, on est tenté de faire un rapprochement entre le personnage fictif et l’auteur. En effet, comme pour Fife, à priori, Jack Kerouac a été (selon ses propres mots)
« l’un de ses héros littéraires »
qui lui a apporté un sentiment de libération littéraire, sexuelle et sociale. Comme Fife, Banks s’est marié quatre fois. Il a connu l’éclatement de sa famille. Mais aussi, la désunion des couples qu’il avait formés. De même que le goût de l’errance, et la souffrance d’une maladie incurable. Déjà dans son recueil de nouvelles, The New World, paru en 1978, Banks avait été complimenté pour son habileté à combiner des matériaux historiques et des éléments semi-autobiographiques.
Fife « sait qu’il n’est pas littéralement en train de se noyer, mais qu’il est en train de mourir, et le flot du temps a enfoncé les digues et les barrages qui retiennent ses secrets depuis presque toute une vie. Son esprit est inondé de souvenirs, et le débordement s’est mis à charrier les épaves flottantes que sont ses peurs et rêves secrets, ses espoirs, ses ambitions et ses fantasmes, en même temps que des chansons, des poèmes, des histoires écrites dans des livres et les films qu’il a aimés – les décombres de sa vie. Comme il est incapable de faire la distinction entre les uns et les autres, il les raconte tous ».
Le récit déchirant de cet écorché vif est tellement profond. Il sonne tellement juste, qu’on ne peut imaginer que Russell Banks n’y ait pas mis la plus grande part de lui-même, quand il a pris conscience que le temps des amers lendemains était advenu.
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Mission réussie !
Il va falloir attendre demain lundi pour me rendre à la librairie du haut du Boulevard pour trouver où commander Oh Canada !
Vraiment une belle lecture .