Nouvellement nommé à l’Académie Française, François Sureau est l’auteur de L’Or du temps, un formidable ouvrage dans lequel il remonte le cours de la Seine et du temps.

Par : Kévin Petroni

En devenant immortel, au siège 24, celui entre autres de La Fontaine et de Marivaux, François Sureau est définitivement hors du temps.

Paradoxe, pourrions-nous écrire, pour celui qui n’a cessé dans son dernier ouvrage de puiser dans les flots innocents de la Seine le “secret” du temps. A travers une déambulation des sources du fleuve jusqu’à Paris, Sureau nous invite à cheminer sur les rives de son adolescence et de sa maturité. Le texte se déploie donc comme une autobiographie. Le récit d’un homme, arrivé au crépuscule de sa vie, désireux d’exprimer sa dette au fleuve de son père.

Temps personnel, que celui traversé par Sureau. Mais pas uniquement. Comme le Danube permettait à Claudio Magris de remonter le fil de l’histoire des pays de la Mitteleuropa, la Seine assure à Sureau la remontée de l’histoire parisienne. Temps collectif, entendons-nous. Cette traversée de la vie de Sureau s’accompagne d’une traversée de la vie de la Seine, de ses habitants et de son histoire. Alors, certes, Sureau ne se présente pas en historien ; il ne rédige pas de somme universitaire. Il raconte une histoire personnelle et sensible de la Seine, depuis le triptyque de Chagall en passant par Balzac et Montherlant. Sureau l’écrit très bien, il dresse “une capitale imaginaire”.

En ce sens, l’auteur écrit une épopée sensible de la Seine. Tous les temps (de la Renaissance à Mitterrand en passant par l’Empire), toutes les cultures (d’Augustin à Lawrence), s’entremêlent pour former cette mémoire érudite, excessive, passionnée, de la Seine. Au fond, l’œuvre de Sureau repose sur cette conciliation entre temps personnel et temps collectif. Remonter le cours de ma vie revient à remonter le cours de ce fleuve qui l’a accueillie. Que du temps, en somme, écoulé par Sureau au fil de sa vie et des pages de ses mémoires.

J’aurai passé l’essentiel de ma vie

Le temps se contente-t-il de passer pour autant ? En vérité, le temps passé de Sureau sur la Seine ne possède pas la même valeur que celui présent dans ses mémoires. Reprenons la première phrase du livre pour l’expliquer. “La Seine est le fleuve au bord duquel j’aurai passé l’essentiel de ma vie”. Cette phrase renvoie le lecteur à celle de Proust dans La Recherche : “Longtemps, je me suis couché de bonne heure”. Dans la phrase de Proust, le circonstant “longtemps” annonce une rupture temporelle. Proust se couche tard à présent. Et pour cause : il s’épuise dans l’écriture de la Recherche. D’une situation passive, celle de l’enfance, il passe à une situation active, celle de l’écriture à un âge avancé de sa vie.

Dans le livre de Sureau, l’usage du futur antérieur prépare peut-être la mort de Sureau (futur). Mais elle annonce également, au seuil de notre lecture, ce déplacement de la passivité vers l’activité (antériorité). Sureau a passé sa vie. Perdu son temps, de la même manière que Proust le perdait en attendant sa mère enfant. Le temps perdu, c’est le temps vécu une fois. Imperceptiblement. Celui qui passe, tous les jours, sans qu’on n’y prête garde.

Le temps de l’écriture, c’est le temps vécu deux fois. Le temps retrouvé par la répétition. Celle qui fait advenir le sens du temps, sa richesse. Il faut perdre son temps pour le retrouver, annonçait Proust. Vivre avant de parler de sa vie. Sureau réédite ce geste : le temps passé sur la Seine est fini, il est temps de le raviver. En ce sens, cet or du temps est un hors temps. Quelque chose qui échappe à la perte et à l’usure ; ou pour reprendre les termes d’Apollinaire, situés en excipit du livre de Sureau : ce qui “s’écoule et ne tarit pas”.

Chercher l’or du temps

Le projet de Sureau n’est pas étranger à la religion chrétienne. Disons d’une certaine forme de mysticisme chrétien, comparable à celui des textes de Blaise Cendrars. Chercher l’or du temps revient à chercher le sens caché par le Père en ce monde. Cette marche de Sureau, le long des bords de la Seine, remémore au Chrétien le chemin que celui-ci doit accomplir dans un univers chaotique, avant la promesse de la Cité Céleste.

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Elle nous interroge ainsi sur le sens de la vie humaine. Comment puis-je être libre, si ma vie est conditionnée par un Dieu caché qui la régit ? Sureau, en grand penseur de la liberté, répond à cette question en chrétien. À la vie céleste, aménagée par Dieu, s’oppose une vie erratique dans laquelle Celui-ci, tout en nous ayant remis ses principes, nous laisse libre de les appliquer. La vie du chrétien est ainsi posée : sur une route chaotique, il doit cheminer afin de puiser l’or du temps. Cet en dehors qui lui assure de changer l’errance d’une vie en aventure humaine.


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