Hervé Cheuzeville
Je viens d’achever la lecture de Madame Elisabeth – Sœur de Louis XVI – Celle qui aurait dû être roi , de l’historienne et juriste Anne Bernet . Cet ouvrage au style agréable m’a permis de découvrir le personnage méconnu qu’était Elisabeth de France (1764 – 1794), petite-fille de Louis XV et sœur cadette de Louis XVI.
Cette biographie peut être divisée en deux parties, la première allant de l’enfance et de la jeunesse de la princesse à Versailles, jusqu’au premier semestre de 1789. Dans cette partie, le lecteur suit l’éducation d’une petite fille, très tôt orpheline, qui grandit dans l’ombre de sa sœur aînée, Clotilde (1759-1802), celle qui allait épouser en 1775 Charles-Emmanuel de Savoie, prince de Piémont, et devenir reine de Piémont-Sardaigne en 1796. Elisabeth devint une jeune fille à la personnalité très affirmée, qui se passionnait pour les mathématiques. Très tôt, elle développa une foi profonde et un sens aigu de la charité, en particulier envers les plus pauvres, dont elle se préoccupa sa vie durant.
La seconde partie va de la convocation des États-Généraux jusqu’au procès inique et express qui envoya la princesse à l’échafaud le jour-même, le 10 mai 1794. Durant ces cinq années tragiques qui virent la prise de la Bastille, le départ forcé de la famille royale de Versailles, la résidence surveillée au palais des Tuileries, la fuite à Varennes, la journée du 10 août 1792, l’enfermement au Temple, les massacres de septembre et la proclamation de la République, le procès et l’exécution du Roi puis de l’infortunée Marie-Antoinette et enfin sa propre condamnation à mort, Elisabeth resta digne et fit montre du plus grand courage. C’est elle qui tenta de conseiller Louis XVI pour essayer de sauver ce qui pouvait encore être sauvé, c’est elle qui soutint moralement le roi et la reine et qui poursuivit, envers et contre tout, l’éducation des deux enfants royaux dans leur prison. Elle joua également un rôle discret mais très important, assurant la liaison entre le roi et les émigrés, grâce à une correspondance secrète et chiffrée, parfois écrite à l’encre sympathique. Pour maintenir ce lien de plus en plus ténu et périlleux, la princesse fit preuve de trésors d’ingéniosité.
Elle se réfugia dans sa foi inébranlable, convaincue qu’elle était que tout ce qui se produisait faisait partie du grand dessein de Dieu, et qu’elle devait donc accepter les épreuves et les humiliations qui se succédaient, toutes plus terribles les unes que les autres. Elle refusa toujours de fuir et de rejoindre ses frères à l’étranger. Elle en eut pourtant mille fois l’occasion. Elle était convaincue que son devoir était de demeurer auprès de son frère aîné, ce roi dont elle mesurait les faiblesses et les erreurs.
Quel eut été le destin du royaume si Louis XVI avait eu la sagesse d’écouter cette sœur qu’il considéra trop longtemps comme une petite fille, s’il avait fait preuve de la même force de caractère que sa cadette Elisabeth ? Je pensais ne plus rien avoir à apprendre au sujet des horreurs de la Révolution.
Ce livre m’a permis de découvrir la personnalité malade, perverse et dérangée de certains de ses principaux acteurs, tel que ce Hébert qui, avec son « Père Duchesne », prêcha la haine et la violence et fit preuve d’une imagination sans limite dans ses calomnies les plus basses et les plus ignobles, en particulier à l’égard de la princesse. Le « Père Duchesne » est à n’en pas douter le premier de ces « médias de la haine » qui devaient jouer un si grand rôle au XXe siècle. Les atrocités commises durant la Révolution sont pires que tout ce que l’on peut imaginer. Il est faux de croire qu’il y eut une « bonne » Révolution, celle de 1789, et une « mauvaise », celle de 1793 et de la Terreur. Dès la Prise de la Bastille, la Révolution s’inscrivit dans la violence et dans le sang. L’attaque du Palais des Tuileries, le 10 août 1792, fit des centaines de victimes, en particulier les Gardes Suisses qui eurent le malheur d’obéir à l’ordre royal de ne pas tirer et qui se firent massacrer.
Certaines de ces victimes furent démembrées, grillées et mangées, oui mangées, par une populace déchainée et ivre d’alcool et de sang. Les journées de septembre qui suivirent virent ces hordes sauvages déferler vers les lieux de détention où des milliers de « suspects » furent assassinés, que dis-je ? déchiquetés et éviscérés après qu’ils eussent été livrés aux assassins par de pseudo-juges révolutionnaires. C’est dans ces flots de sang que naquit la Première République dont certains voudraient que nous soyons fiers. Dans le livre d’Anne Bernet, tout cela est décrit avec pudeur et sobriété mais sans rien occulter de la sinistre réalité historique. L’auteur démonte également l’épouvantable machine révolutionnaire qui, en s’emballant, broya des dizaines de milliers de vies et plongea la France dans la guerre civile, cette guerre civile que Louis XVI voulait à tout prix éviter. Les procès iniques, en particulier ceux du roi, de Marie-Antoinette et enfin d’Elisabeth sont très bien décrits, ainsi que le courage de certains avocats qui, au péril de leur vie, tentèrent de faire leur métier en défendant des prévenus condamnés d’avance tout en faisant face à des juges et à un public vociférant et éructant leur haine.
Dans ces circonstances terribles, Elisabeth de France fit preuve du plus grand courage et de la plus grande dignité. Les épreuves, au lieu de la briser, la renforcèrent et affermirent sa foi. Son abnégation et son amour des autres, même de ses ennemis, furent toujours exemplaires. En arrivant à la dernière page de ce livre qui, loin d’être un récit hagiographique est une biographie sérieuse et extrêmement bien documentée, je ne doutais plus que je venais de lire l’histoire de la vie d’une sainte et d’une martyre. Je ne puis que vivement recommander la lecture de Madame Elisabeth , il s’agit là d’un ouvrage édifiant qui ne laissera personne insensible.
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