Ancien député français, président sénégalais, mais aussi académicien, Léopold Sédar-Senghor, fut, aux côtés d’Aimé Césaire, le fondateur du mouvement de la négritude. Un président-poète, défenseur de la francophonie disparu voilà 20 ans.

Par : Claire Giudici

Le 20 mars sera la Journée internationale de la Francophonie et c’est en France, sans doute, qu’on en parle le moins. Tout comme en France on parle peu du 20e anniversaire de la mort de Léopold Sédar-Senghor, disparu le 20 décembre 2001. Agrégé de grammaire, enseignant de linguistique, ce poète fut le premier Noir à entrer à l’Académie Française.

Léopold-Sédar Senghor fut aussi, 20 ans durant, à la tête de son pays, le Sénégal. C’est à lui – avec Habib Bourguiba, Hamani Diori et Norodom Sihanouk – qu’on doit la mise en place de la francophonie institutionnelle dès fin des années 1960. En ces temps de « cancel culture » et de « décolonialisme », au Sénégal j’ai découvert combien on se réclamait encore de la francophonie ; combien elle était vivante et forte. Et combien on était fier de sa négritude.

Actuellement, l’OIF (Organisation Internationale de la Francophonie), qui regroupe 88 États ou gouvernements recense 300 millions de locuteurs dans le monde dont une majorité en Afrique. Pour commémorer l’anniversaire du décès du « poète-président », elle a fait réaliser une série de vidéos présentant sa vie et son œuvre tant littéraire que sociétale. Senghor déclarait :

«Dans les décombres du colonialisme, nous avons trouvé cet outil merveilleux, la langue française »

Une mosaïque de spiritualités

De cette langue il a voulu faire un lien entre les peuples. La promouvoir, c’était permettre des coopérations au plan politique, culturel, éducatif ou économique que seule une langue commune rendait possible. Sans faire disparaître aucun des idiomes locaux. Son pays reste d’ailleurs une mosaïque de spiritualités, de langues et de cultures. La majorité de la population est musulmane, mais on y est aussi chrétien ou animiste. Et on est généralement polyglotte.

Si le français est langue officielle, si le wolof est parlé de façon majoritaire ; déjà, sous le mandat du président Senghor, six « langues nationales » (diola, mandingue, le pulaar, sérère, soninké et wolof) étaient reconnues et enseignées. Défendre le local ; le faire connaître et le partager pour tendre vers l’universel à travers le français : c’est dans cet esprit qu’il travaillait. D’autres « langues nationales » ont été codifiées depuis, une vingtaine en 2013. Face à la mondialisation, le pays semble conserver son identité.

Héritiers de la famille Senghor – Ginette Miguel avec Anne-Marie Senghor-Boissy

Anne-Marie Senghor Boissy est sa petite-nièce et la présidente de l’ADBS (« Association des descendants de Diogoye-Basile Senghor »). Diogoye, qui a eu 5 épouses et 41 enfants, était en effet le père de Léopold-Sédar, 24e de la fratrie. L’association s’est donnée pour but de promouvoir son œuvre poétique et de faire connaître sa philosophie. Elle a aussi pour objet la revitalisation et la sauvegarde du patrimoine familial, classé monument historique. Et la promotion ou l’organisation d’actions et d’événements culturels permettant la découverte de la culture Sérère, leur ethnie. Celle du « Royaume d’enfance »…

Le flambeau de la littérature

Concernant l’univers francophone, Anne-Marie reste optimiste. D’autant que cette année, avec « La plus secrète mémoire des hommes », c’est un Sénégalais qui a remporté le prix Goncourt : « J’ai pu lire que lors de ses études à l’EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales), les recherches menées par Mbougar Sarr portaient sur Senghor.En devenant le premier Subsaharien à remporter le Goncourt, il permet au Sénégal de retrouver son rang

À lire aussi : La plus secrète mémoire des hommes de Mohamed Mbougar Sarr

Dans les années 1960 et 1970, notre pays portait haut le flambeau de la littérature, avant de le perdre au profit du Nigeria et du Kenya. Parmi nos écrivains, nous pouvons cependant citer Boubacar Boris Diop et Souleymane Bachir Diagne, dont les œuvres aussi ont été récompensées. Puis Hamidou Sall, poète et écrivain, que je qualifierais de « fils spirituel » de Senghor. En ce 20eme anniversaire, il s’est particulièrement investi pour rappeler combien son œuvre s’ancrait dans le présent. Alors, si notre pays est riche de cultures et de spiritualités diverses, la francophonie garde de beaux jours devant elle. Elle est déjà une force politique, travaille à devenir une puissance économique et, par le rayonnement de sa créativité, demeure un espace culturel vibrant. »

Face à la « cancel culture » et au « wokisme »

Reste qu’en ce début de XXIe siècle, la pensée de Léopold-Sédar Senghor se trouve face à la « cancel culture » et au « wokisme ». L’idée de statues qu’on déboulonne, est-ce compatible avec ce qu’il défendait : une négritude fière, apte à s’ancrer politiquement et culturellement dans le concert des nations ?

« Connaître son histoire, c’est oser la regarder en face, en assumer la totalité,

déclare Anne-Marie Senghor Boissy. C’est aussi savoir se la réapproprier, participer à la narration du monde, écrire son propre roman national. Senghor était un homme de l’universel, qu’il faisait cependant précéder de l’enracinement dans sa propre culture. On peut regretter les excès de la woke ou la cancel culture. Mais il me semble légitime de poser, par exemple, la question de la présence, dans l’espace public, de figures controversées pour les pratiques et les valeurs dégradantes qu’elles incarnent toujours pour ceux qui en ont été les victimes et en portent encore les stigmates.

Statue de Léopold Sédar Senghor dotée d’un masque

Être, en permanence, confronté à ses bourreaux d’hier, devoir accepter la complaisance que leur porte l’environnement social peut se révéler d’une grande violence. À mon sens, la place de ces vestiges d’un passé révolu est dans les archives ou les musées. Et dans les livres d’histoire pour mieux analyser et expliquer leurs effets négatifs. Senghor, si l’on se base sur sa vision « d’Enracinement et d’Ouverture », aurait opté non pour la suppression de ces éléments de la mémoire culturelle, mais au contraire, il aurait choisi de multiplier les mémoires correspondant aux différentes sensibilités ; aux différentes communautés pour susciter une discussion éclairée. Loin d’être une utopie, sa pensée humaniste est, au contraire, une réalité vivante, d’une actualité brûlante, dans le village planétaire où nous vivons. »


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