par Francis Beretti


«  Le linge blanc humecté d’eau vinaigrée glisse sur la peau aussi tendue que celle d’un tambour. Il ascensionne le ventre montueux, dévale la pente vers la combe ombreuse entre les seins, caresse le cou de taureau, glace d’une mince pellicule les bras énormes, revient sur le bas-ventre et parcourt les cuisses en troncs d’arbres ». Telles sont les lignes d’ouverture du dernier roman de Michèle Corrotti et Philippe Peretti, publié par Alain Piazzola, et  intitulé Entre chien et loup. La narratrice décrit en ces termes la toilette d’une matrone gigantesque, Sofonisba,  d’autant plus repoussante qu’une énorme verrue déforme son visage. Sa taille et le regard glacé qui émane de ses « yeux d’un bleu étonnamment pur »  traduisent la domination qu’elle exerce sur son entourage. Mais elle est furieuse, car elle sent que l’emprise qu’elle a toujours fait peser sur  son fils Giudicello des Cortinchi di Gaggio est sur le point de disparaître.


L’action se situe en 1464, entre la tour de Pietralarata et Milan. Le héros est Giudicello. Un rude gaillard qui se livre avec ardeur à ses deux passions : les femmes et la politique. Il a un vaste champ de conquêtes, depuis Maria, la  belle sauvageonne qui cueille des fleurs dans le maquis, jusqu’à Giulia Sinibaldi, une dame du plus haut rang de l’aristocratie de la Cour de Milan, « qui s’offre, aussi nue qu’à son premier jour, aux assauts du seigneur lointain ». Sa  puissance, dans un autre registre,  s’exerce aussi avec intelligence et opportunisme auprès du suzerain de son temps, Francesco Sforza, le duc de Milan, à qui Gênes vient de céder la Corse. Giudicello est suivi et servi par « un grand flandrin efflanqué », Gobbetto, qui, comme son
nom l’indique, est légèrement difforme. Ce fidèle serviteur a la manie
étonnante, pour un homme, de broder.

Parfois la présentation d’un ouvrage, comme celle à laquelle nous avons assisté, dans une salle comble, facilite la tâche du lecteur. Dans une intervention à deux voix, où l’humour n’était pas absent,  les auteurs nous ont livré des clés de lecture utiles de ce roman historique soigneusement composé.
Gobbetto avec son passe-temps insolite, est l’image de l’une des Parques qui file le destin des hommes, et l’incarnation de la sagesse populaire, ce qui justifie la présence des proverbes qui rythment le récit. Le titre : Entre chien et loup peut être pris comme une allusion à une période incertaine, où le sort de la Corse est à peine esquissé, et où le destin même du personnage principal est aléatoire :
«  Quand on porte en soi, massacrés, le passé et ses douleurs fugaces, et l’espoir d’un avenir qui jamais n’adviendra… ».

Le chien fait partie des armoiries des Cortinchi ; et c’est un chien que le duc de Milan exige chaque année comme un gage de fidélité. Quant à l’illustration de la page de couverture, signée Edith Guidoni, et qui pouvait paraître, à première vue, comme une décoration incongrue, une pupille d’un bleu étonnamment pur … et glacial, c’est déjà un clin d’œil pour la suite, et qui laisse entrevoir la fin.


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