ARTICLE – Francis Beretti présente un court roman anglais Le cafard, de Ian MCEwan, traduit par France Camus-Pichon, publié aux Editions Gallimard. Il a obtenu en 1993 le prix Fémina étranger avec L’enfant volé.

Le cafard, ici, n’est pas une variation romantique d’un quelconque  état pitoyable de mélancolie, mais bien l’insecte répugnant qui se vautre dans les immondices des caniveaux, des égouts et des arrière-cuisines. Un beau matin il investit le corps humain de  Jim Sams « intelligent mais sans génie », et voilà le Premier ministre de Sa Majesté britannique transformé en cafard ! A première vue, on est tenté de penser à l’insecte qui métamorphose le héros de Kafka ; mais le roman de Kafka, d’essence philosophique,  évoque l’étrangeté de la routine quotidienne, alors que celui de MacEwan a une portée politique.

Le cafard-premier ministre veut imposer un nouveau système économique foncièrement absurde qu’il a baptisé « Reversalisme », c’est-à-dire une inversion du sens de la circulation de l’argent. Ainsi, pour commencer par le bas de l’échelle sociale, une employée remettra toutes les semaines à la firme qui l’emploie la somme correspondant à ses heures de travail. Son argent sera placé à des taux d’intérêts négatifs. Elle aura donc la nécessité de trouver un emploi mieux rémunéré. Le gouvernement commandera des centrales nucléaires afin de pouvoir faire des cadeaux fiscaux aux travailleurs, etc. etc….

Dans son discours de clôture devant le Conseil des ministres pour marquer le triomphe du reversalisme,  le cafard, toutes ses  antennes frétillant  de bonheur de voir la Grande-Bretagne faire cavalier seul, affirme avec fierté son appartenance à l’espèce des  Blattodea, « des créatures qui évitent la lumière », et qui ont survécu aux épreuves de la construction des égouts, du l’attrait irrésistible pour l’eau potable, de la théorie funeste des bactéries porteuses de maladies, et des accords de paix entre les nations.

On est tenté de faire un rapprochement avec l’actuel premier ministre, mais MacEwan nous avertit que dans son oeuvre de fiction, « toute ressemblance avec des cafards, vivants ou morts, est une pure coïncidence. »

On ne croit pas, bien sûr, à cette affirmation car l’auteur lui-même, dans sa préface, nous donne des clés de lecture. Sa fable est une satire virulente du Brexit,, alimentée par  « la plus vaine et la plus masochiste des ambitions jamais imaginée dans l’histoire de Iles britanniques ». Le « reversalisme »   est en fait  « une longue marche arrière » vers un simulacre de ce qu’un grand pays a été, une stratégie alimentée par diverses causes :

« irrationalité débridée, hostilité envers les étrangers, résistance à l’effort d’analyse, chauvinisme exacerbé, emballement pour des solutions simplistes, aspiration à la « pureté » culturelle », pulsions exploitées par « une poignée de politiciens cyniques. »

MacEwan revendique ouvertement sa filiation littéraire : la satire politique dont le texte fondateur reste la Modeste proposition de Jonathan Swift. 

Fintan O’Toole, dans The Guardian, admire “le grand style” et le “panache comique” du romancier, et  définit cette parabole comme « une farce anti-Brexit sur pattes ».        

En savoir plus

Ian Mc Ewan, Le Cafard, Paris, Gallimard, Hors série Littérature, 2020.


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